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Avis d’avocat : protéger le design

L'architecture dans l'œil du juridique : à l'invitation de L'Architecture d'Aujourd'hui, le cabinet d'avocats Loyseau de Grandmaison, expert en conseil et contentieux du droit de la propriété intellectuelle, du marché de l'art et des affaires, a accepté de rédiger pour AA plusieurs articles pour lire autrement l'architecture.

Pour cette première édition, Diane Loyseau de Grandmaison et Carole Georges, avocats au Barreau de Paris, rappellent les enjeux de la propriété intellectuelle et de la protection des objets de design, en écho à l'article paru dans le dernier numéro d'AA, soufflé par Philippe Starck rédacteur en chef invité, sur la copie et la contrefaçon dans le design.

QUELLE PROTECTION POUR LES OBJETS DU DESIGN ?

« Subversif, éthique, visionnaire, politique, humoristique, poétique : voilà l’idée que je me fais de mon devoir de créateur », écrit Philippe Starck. Le pouvoir de création de l’homme à l’honneur dans ce numéro est si inhérent à sa personnalité, qu’il s’en est créé un devoir personnel. Mais de quels droits bénéficient les créateurs d’objets d’art appliqué ?

J’ai créé un objet de design.
De quels droits puis-je bénéficier sur cet objet indépendamment de sa propriété matérielle ?

Le droit d’auteur

En France, le droit d’auteur protège, sans formalités d’enregistrement, les créations originales, c’est-à-dire, celles qui portent l’empreinte de la personnalité de leurs auteurs, quels qu’en soient le genre, la forme d’expression, le mérite ou la destination.

Cette notion « d’originalité », distincte de la « nouveauté », est subjective, mais appréciée par les juridictions avec latitude. Ainsi, un panier à salade, un décapsuleur, un boitier de piles, un tube de rouge à lèvres [1] ont été jugés suffisamment originaux pour être protégés par le droit d’auteur.

Les créations de Philippe Starck en sont une excellente illustration, puisqu’elles restituent l’empreinte de sa personnalité au premier regard !

Le droit d’auteur offre au créateur et à ses héritiers des droits moraux perpétuels, inaliénables et imprescriptibles [2] composés des droits de divulgation, de paternité et du droit au respect de l’intégrité des créations.

Il comprend également des droits patrimoniaux d’exploitation, qui confèrent au créateur et à ses ayants droit, pendant 70 ans après sa mort, le droit exclusif et opposable à tous d’autoriser ou d’interdire toute reproduction ou représentation de sa création.

Ces droits d’exploitation exclusifs recouvent, par exemple, la fabrication en nombre des objets de design originaux, leur représentation sur des documents commerciaux, sur des publicités, sur Internet (etc.), ainsi que leur commercialisation et leur promotion notamment.

Le droit des dessins et modèles

Le droit des dessins et modèles protège pour une durée maximale de 25 ans (durée initiale de 5 ans renouvelable 4 fois) l’esthétisme d’une création, sous réserve que le dessin et modèle représentant cette création respecte deux conditions [3] :

  • La nouveauté : aucun dessin ou modèle identique ou quasi-identique n’a été divulgué,
  • Le caractère propre [ou individuel pour l’Union Européenne]: l’impression visuelle d’ensemble que suscite ce dessin ou modèle est différente de celle déjà produite par d’autres dessins et modèles déjà divulgués.

Le droit européen prévoit encore un régime de protection plus limitée de 3 ans pour les dessins et modèles communautaires non enregistrés, destiné aux produits à court cycle de vie économique (créations des industries saisonnières par exemple).

Le droit des marques

Le droit des marques peut également protéger, pour une durée de 10 ans renouvelable, certaines créations telles que la forme ou le conditionnement d’un produit, grâce aux marques tridimensionnelles. Ainsi, par arrêt du 14 juillet 2021, le Tribunal de l’Union Européenne a admis la validité d’une marque tridimensionnelle constituée de la forme d’un rouge à lèvres déposée par la société Guerlain [4].

Cette durée de protection, pratiquement illimitée si la marque est régulièrement renouvelée, ajoutée à la possibilité de couvrir de nombreux territoires, en France et à l’étranger, peuvent paraitre séduisantes.

Attention toutefois, pour être valables, ces marques doivent être suffisamment « distinctives », c’est-à-dire différer des normes et habitudes du secteur et permettre au public pertinent de distinguer les produits ou services du titulaire de la marque de ceux de ses concurrents.

 

Quelle est la protection la plus intéressante,
la plus efficace pour un objet de design ?

Il n’existe pas de réponse unique. Tout dépend non seulement de la nature de la création à protéger (originalité, possibilité de dépôt sous forme de dessin et modèle ou de marque selon les critères légaux requis etc.), mais surtout des choix et projets d’exploitation de son créateur.

La théorie de l’unité de l’art permet d’ailleurs de cumuler en France la protection du droit d’auteur avec celle de titres de propriété industrielle (dessins et modèles notamment).

Notre seul conseil applicable à la protection de toutes les créations reste l’anticipation !

En effet, tout créateur a grand intérêt à réfléchir, dès la formalisation de ses créations et avant même qu’elles ne soient divulguées et exploitées, aux meilleurs moyens de les protéger et de valoriser ses investissements, car plus tard, il est souvent trop tard.

 


Diane Loyseau de Grandmaison et Carole Georges

Avocats au Barreau de Paris
www.cabinetldg.fr

 

 


[1] Cass. crim., 30 oct. 1963, n° 62-91.916 ; Cass. crim., 9 oct. 1974, n° 72-93.686 ; CA Paris, 4 mars 2005, n° 03/03989 ; T.J Paris, 28 fév. 2020, n° 18/08045

[2] Articles 121-1 et s. du Code de la propriété intellectuelle

[3] Articles L.511-1 et s. du Code de la propriété intellectuelle

[4] Trib. UE, 14 juill. 2021, aff. T-488/20, Guerlain c/ EUIPO


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