Solidays. © Deborah Karalou

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Festivals : la crise de la croissance ?

Fini le temps où les festivals rimaient avec un temps d’insouciance et de légèreté partagée ? Le dérèglement climatique assombrit aussi la fête. Les festivals l’ont éprouvé l’été dernier, face aux pics de canicule et aux orages torrentiels. Mais au-delà des aléas temporaires, les professions culturelles s’interrogent : quelles pistes pour des festivals soutenables ? Des diagnostics et préconisations existent, de multiples efforts sont faits, mais la course de vitesse avec la catastrophe climatique est lancée. [Cet article est issu de notre numéro 452 « La Fête — Celebration », disponible sur notre e-shop]

Valérie de Saint-Do

 

L’exemple a frappé, voire choqué. Au Hellfest 2022, en juin, sous une chaleur torride, les pompiers ont arrosé les spectateurs à la lance à eau, alors qu’un stress hydrique affectait le territoire national. Au-delà de cette image, la dimension du festival interroge : près de 500 000 spectateurs, 300 000 litres de fuel… La crise climatique pourrait-elle mettre en danger le célèbre festival de metal là où les bien-pensants voulant la peau de cet événement, jugé sulfureux, ont heureusement échoué depuis des années ?

Le Hellfest est le baobab qui cache la forêt. Le fait festivalier est un phénomène majeur en France, où l’on compte environ 7 000 festivals. Le chiffre ne reflète évidemment pas les disparités colossales d’échelle ni la forte concentration du public dans les « gros » festivals : 6 % d’entre eux attirent plus de 50 000 spectateurs, quand 56 % n’atteignent pas les 5 000.

Un festival, c’est une communauté qui apparaît et disparaît.

Un festival, c’est d’abord une fête, qui mobilise toute une ville, voire une région, comme l’Interceltique de Lorient (plus important festival de France en matière de fréquentation) et voit un afflux de population ponctuel dans un lieu précis, avec ce que cela suppose de logistique à gérer. C’est aussi une forme d’aboutissement de la décentralisation culturelle, voire une revanche de la ruralité, quand des villes comme Aurillac sont propulsées en haut de l’affiche pour leur festival des arts de la rue, ou quand les Vieilles Charrues, à Carhaix, font figure de phénomène. Souvent cités dans les rapports sur « l’attractivité » d’une agglomération ou d’une région, dans un pays où le leitmotiv du ministère de la Culture est l’élargissement du public, les grands festivals connaissent un afflux de spectateurs qui boudent parfois les institutions culturelles, jugées plus intimidantes. « Un festival, c’est une communauté qui apparaît et disparaît », disait un élu d’Angoulême lors d’une rencontre récente au Forum 2022 des festivals organisés à Bordeaux, dans le cadre du FAB (Festival international de Bordeaux). Ajoutons que ces communautés éphémères ont exprimé leur soif d’ambiance festive et de retrouvailles après deux ans de pandémie qui ont frappé de plein fouet le secteur culturel et vu l’annulation d’événements. Fragilisés, les festivals renouent à peine avec le public qu’ils doivent faire face à de nouveaux défis : le risque de report en 2024 dû aux exigences sécuritaires des Jeux olympiques et, à moyen terme, les réponses aux enjeux du dérèglement climatique.

 

Le bonheur est dans l’écocup ?

Car cette effervescence festivalière est aujourd’hui interrogée sur son impact écologique, à l’instar de tous les grands rassemblements humains. « Les festivals, dans leur grande majorité, ne sont pas les moins vertueux de ces événements, constate Frédéric Hocquard, adjoint au tourisme et à la vie nocturne de Paris et président de la FNCC (Fédération nationale des collectivités territoriales pour la culture). Dans leur majorité, ils ont eu un peu d’avance, en promouvant par exemple les ecocups et les produits locaux dans leurs espaces de restauration. Des normes que n’appliquent pas, par exemple, les fan-zones des concerts organisés par des multinationales américaines ou des matchs de foot. »

Seulement, face à l’urgence climatique, ces dispositions vertueuses ne sont plus suffisantes. Les colloques et études sur le sujet se multiplient, et si les préconisations peuvent varier en prenant en compte la singularité des disciplines artistiques, leur conclusion est sans appel : il va falloir s’adapter, non seulement aux étés caniculaires, mais aux accidents climatiques qui de plus en plus ont un impact sur les festivals. De Rock en Seine à Solidays, en passant par Avignon, beaucoup d’entre eux ont connu des annulations dues aux violents orages ou aux incendies ponctuant les canicules de l’été. Au-delà du phénomène de chaleur estivale qui risque de s’amplifier, la question est posée : comment réduire le bilan carbone des festivals et, au-delà, améliorer leur « bilan du cycle de vie » ?

 

Solidays. © Anaïs Fayola

 

Le ministère de la Culture a publié une charte de développement durable pour les festivals, dans le cadre d’une stratégie RSO (responsabilité sociétale des organisations). En février dernier, la SACD (Société des auteurs et compositeurs dramatiques) et Artcena s’associaient pour des rencontres autour des « pratiques de l’écoresponsabilité dans le spectacle vivant ». La coopérative 2R2C mène une étude sur l’impact écologique des chapiteaux et de leur transport. Et voici un an, le think tank The Shift Project publiait son rapport « Décarbonons la culture » !

L’émetteur principal de CO2, c’est le festivalier.

Les axes de travail sont connus et partagés : réduire les déchets, privilégier les circuits courts pour tout ce qui est vendu, modifier les sources d’énergie pour privilégier le renouvelable. Du côté des acteurs, la conscience est désormais largement partagée, et des efforts réels apparaissent, dont le festival We Love Green, qui axe toute sa communication sur l’écoresponsabilité, semble emblématique. Ecocups, toilettes sèches, catering local, plateformes de covoiturage, navettes… Mais au-delà de la communication, sa jauge reste problématique.

Autre exemple : les Trans Musicales de Rennes ont de longue date intégré un axe environnemental dans leur organisation, privilégiant le transport en navettes, la restauration végétarienne, tentant de diversifier les sources d’énergie. Seulement, face à l’urgence, des mesures plus drastiques se heurtent à des obstacles économiques, politiques, et aussi artistiques. Réaliser un bilan carbone exige de la technicité et des moyens. Améliorer la logistique du transport des spectateurs, des artistes et du matériel relève de politiques d’aménagement qui dépassent la responsabilité des organisateurs, et de capacité à convaincre des partenaires, et bien évidemment de moyens financiers.

Small is beautiful ?

Les efforts initiés par les festivals en matière de gestion des déchets, d’approvisionnement local, de diminution des dépenses d’énergie butent contre une réalité violente, attestée par différentes études sur le bilan carbone des événements : l’émetteur principal de CO2, c’est le festivalier. Un constat qui heurte de front les fondements de la politique culturelle : si l’on finance des événements, c’est pour « élargir les publics ». Or, la jauge est aujourd’hui au coeur de la réflexion sur l’impact écologique des festivals. « Quand tu rassembles des dizaines de milliers de spectateurs, cela devient intraitable, du point de vue des déchets, de l’eau, du stationnement. Et l’impact n’est pas proportionnel à la quantité du public : multiplier par dix le nombre de spectateurs, c’est un impact beaucoup plus important, en raison des infrastructures nécessaires », explique Rémy Bovis, directeur de la coopérative 2R2C, qui mène une étude sur le secteur spécifique du cirque.

 

We Love Green. © Mahdi Aridj

 

Les préconisations les plus sensibles concernent le secteur ayant le plus d’impact : la mobilité des spectateurs et celle des artistes. Peut-on imaginer le festival d’Avignon, le Hellfest, les Vieilles Charrues réservés à un public venu en train ou à moins de deux heures de transport ? Peut-on imaginer Rock en Seine ou les Eurockéennes sans stars d’envergure internationale, sans même aborder la question des grands concerts privés, qui doivent leur équilibre économique au nombre de spectateurs ? En ces périodes sombres de repli national et identitaire, peut-on imaginer que l’art renonce au brassage et cultive le localisme ?

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Pour lire cet article dans sa totalité, découvrez AA n° 452 « La Fête — Celebration », disponible sur notre e-shop !

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