Ateliers Hermès @ Lina Ghotmeh — Architecture
Ateliers Hermès @ Lina Ghotmeh — Architecture

Confiné·es

Confiné.e.s : Lina Ghotmeh

Face au confinement imposé à tous pour contrer la propagation du virus Covid-19, nombre d’architectes ont dû adapter leur pratique et leur méthode de travail à ce nouveau rythme de vie. La série « Confiné.e.s » leur donne la parole, en interrogeant leur vision de la situation — mais aussi leurs recommandations culturelles.
Aujourd’hui, les réponses de l’architecte Lina Ghotmeh. Avec son agence, elle travaille actuellement au développement des Ateliers Hermès (livraison prévue pour 2021) ; l’agence a également récemment livré deux installations permanentes dans le prestigieux Okura Hotel de Tokyo.

Lina Ghotmeh © Sille Annuk
Lina Ghotmeh © Sille Annuk

L’Architecture d’Aujourd’hui : Où êtes-vous confinée et comment vous êtes-vous organisée pour poursuivre votre activité ?
Lina Ghotmeh : À Paris, entre mon atelier et mon domicile. La santé de mon équipe est primordiale, chacun est confiné chez soi et on maintient le lien grâce à tous les moyens de communication.

Confinement et architecture sont-ils antinomiques ?
Oui et non.
Non. Être architecte nous amène à basculer en permanence dans un monde imaginaire. Un monde sans limite et qui ne se restreint pas par le confinement mais qui peut s’en nourrir. C’est un monde où l’on dessine la liberté à partir de la contrainte, où l’on réinvente de nouvelles façons de vivre, de faire, d’être résilient. C’est cette condition même de confinement qui m’a amenée à être architecte. J’ai grandi au Liban ; à Beyrouth, pendant la guerre, j’ai vécu une situation de confinement, encore plus violente, assez absurde même puisqu’elle est imposée par d’injustifiables conflits inter-humains. Néanmoins, c’est dans la contrainte, le confinement, que les jeux les plus créatifs naissent ; les mondes les plus féériques, les pensées les plus vivantes se développent.
Être confiné.e.s est une opportunité de vivre mieux son “intériorité” et son “intérieur”. Spatialement parlant, nous sommes amenés à redécouvrir les limites de nos espaces, les renégocier, ré-évaluer ce qui est vital. Confiné.e.s en ville, on ressent notre vrai besoin de nature et réalisons son pouvoir apaisant. Confiné.e.s, les limites de la rue la transforment en une scène ouverte à l’imaginaire, elle devient le théâtre d’applaudissements. La rue se transforme, elle nous appartient différemment et pose la question de sa fonction usuelle.
Oui. L’architecture, c’est aussi l’équipe, l’interaction physique, la matière, la main, le faire ensemble, l’humain. Séparés les uns des autres, nous nous retrouvons dans une situation antinomique à notre métier. Comment édifier sans nos mains qui se croisent ? Ça relève de l’impossible. Séparés, il est possible d’imaginer mais difficile de réaliser, de concrétiser… La technologie atteint ici ses limites et nous rappelle ce besoin profond que nous avons de nous voir, de déployer nos sens, de partager.

Quelles leçons pensez-vous tirer de l’impact écologique de cette crise ?
Une immense modestie devant le pouvoir de la nature. L’humain n’est qu’une pièce dans un large écosystème et se doit de respecter son fonctionnement circulaire pour survivre. Selon un article du New Yorker,From Bats to Human Lungs, the Evolution of a Coronavirus”, cette crise est le résultat d’un virus qui a évolué pendant des milliers d’années avant de faire son saut vers l’espèce humaine et ceci à travers un animal sauvage en voie d’extinction que l’humain persistait à consommer. Il est naturel, qu’à force d’épuiser les ressources de notre terre, une disruption ait lieu. Je pense que nous savons tous que ce qu’on vit en ce moment n’est que le sommet de l’iceberg, qui lui continue à fondre.
Ce moment est un temps important de réflexion, de silence, de résilience. Nous réalisons aussi que nous pouvons agir de façon sérieuse face aux urgences, que nous sommes capables d’écouter nos scientifiques, d’instaurer un changement immédiat. Que ce changement peut se mesurer instantanément avec un ciel plus pur, reflétant une réduction considérable de notre impact carbone. Cette crise nous invite à agir, à faire différemment, à penser le temps “lent”, penser la vitesse d’une nouvelle façon. Celle qui se mesure par notre impact positif sur l’environnement. Il ne s’agit point de sauver la planète qui saura survivre avec de nouvelles formes de vie, il s’agit de renouer notre lien avec la terre afin de sauver notre propre espèce et assurer son « bien-être ». Le monde s’est prouvé infiniment petit, nous constituons tous et toutes un seul être enraciné à cette planète.

Un film à voir, un livre à lire pendant le confinement ?
Un livre, Plaidoyer pour l’Arbre du botaniste et biologiste Hallé. Et Le Sel de la Terre, un documentaire sur la vie et le travail de Sebastião Salgado, réalisé par Wim Wenders. Le film retrace les mutations de l’humanité, prenant les chemins les moins fréquentés, il exalte la beauté de la planète.

Un compte à suivre sur les réseaux sociaux ?
Ceux de Pascale Seys, Docteure en philosophie, productrice radio à la RTBF (Musiq’3) et chroniqueuse.

Qu’espérez-vous de cette expérience ?
Une profonde solidarité. Entre humain, entre espèces.

Quel impact a ce confinement sur la perception de votre espace de travail et, inversement, sur votre espace domestique ?
La limite entre les deux était déjà floue ! J’habite à 5 minutes de mon atelier, ce qui s’est révélé indispensable et pertinent.

Le site de Lina Ghotmeh — Architecture.

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