© Cyrille Weiner

Tribune

Nancy, récit d’une métamorphose

Dans le dernier numéro de L'Architecture d'Aujourd'hui, le grand reporter culture Jean-Claude Raspiengeas narrait pour AA l'histoire mouvementée du bâtiment des thermes de Nancy, de son ouverture en 1913 jusqu'à nos jours, à l'aube de sa réhabilitation par l'agence Architectures Anne Démians. Dans la continuité de cette histoire, l'architecte Anne Démians livre ci-dessous le récit de cette réhabilitation et extension, livrées en 2023 – illustré par des photographies de Cyrille Weiner.

Anne Démians
Avant-propos

La renaissance des thermes de Nancy – communément appelés Nancy-Thermal – est une des décisions les plus significatives et opérationnelles de la politique menée par la Métropole du Grand Nancy. La réhabilitation des anciens thermes et leurs extensions s’inscrivent dans la stratégie de revitalisation des territoires de la Lorraine, à travers l’exposition de la santé, du sport et des loisirs.

Ces thèmes sont présents sur le site et dans la région, depuis fort longtemps.

Cette politique spécifiquement attachée à cette réalisation et relevant du social, de la ville et du patrimoine fut initiée et développée par monsieur André Rossinot, ancien maire et président de la Métropole du Grand Nancy. Elle fut poursuivie et étendue par monsieur Mathieu Klein, actuel maire de Nancy et président de la Métropole du Grand Nancy, avec attention, respect et détermination, afin que rayonne de nouveau, en Lorraine, le développement de telles activités.

Nancy-Thermal a enrichi la ville de Nancy avec un équipement qui se situe sur les chemins de son histoire, à travers le soin, le sport, l’art, les jardins, la villégiature. Cette opération sensible et complexe résulte d’un acte politique fort et d’un engagement culturel non moins remarquable. Son langage, peu bavard mais efficace, interroge toutes les générations présentes sur site à travers ses spécificités, ses fragilités, ses bassins et sa force d’expression. Elle parle avant tout d’eau, de santé, d’espaces et d’avenir, en reprenant une expérience sensible et significative commencée il y a plus de 100 ans, avec l’architecte Louis Lanternier, premier auteur des bains sainte Marie.

Le projet, longtemps confisqué par des réflexes économiques empêchant toute politique de réhabilitation et de réouverture des thermes à Nancy aura dû briser ce lourd et long embargo financier pour réapparaitre dans l’actualité.  Le projet politique, économique et social qui lui fut consacré lui a redonné « l’élan vital » qui lui manquait jusque-là. Un état d’esprit et de construction, conforme à la pensée de Bergson quand il dit « il n’y a pas de déterminisme dans la destinée de l’homme, mais plutôt un mouvement permanent des idées et des actions qui lui donnent la possibilité d’être libre de son destin ». Nancy-Thermal aura donc bénéficié de cette reconquête récente et, à travers elle, d’une nouvelle liberté d’agir et de faire.

L’aisance économique réapparue en ville sous forme de partenariats ciblés, la cité Nancéenne, sous la conduite d’une politique dynamique, s’est soudain remise en mouvement et, forte de ses bains comme de ses antériorités politiques, s’est remise en perspective.

LA STRATÉGIE D’APPROCHE

Nous avons croisé à travers son programme de réhabilitation des existants et de ses extensions modernes, une suite de thèmes qui, s’additionnant sans véritable hiérarchie, devaient nous projeter dans un travail qu’on peut situer à mi-chemin entre un patrimoine durablement fixé dans le temps (plus de 100ans) et une modernité adaptée aux nouveaux mécanismes de notre société.

Il nous fallait alors aborder en priorité toute la technicité des bassins et de leurs machineries, la nature fonctionnelle et l’hygiène de tous leurs espaces de proximité, comme ceux que nous voulions placer en relation directe avec le voisinage. Nous devions évidemment parler des usages, mais aussi de leurs conséquences sur les abords immédiats de la ville, comme de leurs influences économiques sur la région et le département. Et évoquer enfin les tenants et les aboutissants d’une politique additionnelle de financements publics et privés ayant conduit à la bonne fin de l’opération, comme à sa réussite.

La réalisation complète et synthétique du projet de Nancy-Thermal s’inscrit donc dans une pensée qui se veut nouvelle et unique, tant par sa destination et sa composition que par la diversité des éléments de son programme et la complexité de son montage financier. La réponse sur mesure, proposée -par mes soins-pour les thermes nouveaux et réhabilités de Nancy prolonge une histoire commencée par Louis Lanternier, en 1909.

UNE EAU VIEILLE DE 22 000 ANS

En 1909, Louis Lanternier, architecte de profession, profite de l’Exposition Internationale de l’Est pour faire jaillir une source d’eau chaude, riche en magnésium et chargée en chlorure de sodium et en soufre, dans le Parc Sainte-Marie de Nancy. En 1913, il livre un Etablissement thermal qu’il dessinera autour -et à partir- de la source. Une œuvre dont il aura suivi consciencieusement les travaux. La guerre de 14 interrompit les travaux, laissant l’œuvre inachevée.

Projet de Louis Lanternier, vue aérienne 1953 © Région Grand Est – Inventaire général/ Henrard Roger © Fonds Henrard/DR
ACTE 1

La première action que je devais mener dès la reprise des travaux, en 2020, consista à débarrasser le projet d’origine de toutes les extensions parasites -réalisées plutôt dans une époque récente- et à redonner aux ouvrages existants leur style et leur lustre d’antan.

Quelques maladresses, en effet, avaient été constatées à l’occasion d’une visite du site en dehors des excroissances hideuses et successives dont on l’avait affublée : de grandes surfaces à voitures avaient été aménagées devant les thermes anciens, rendant ainsi le site semblable aux abords d’un centre commercial périurbain. On y croisait aussi un Centre de sport et de loisirs de plein air, qui avait été placé au droit de la façade nord des thermes anciens. L’ensemble se situait juste entre la rue sergent Blandan et le Parc Sainte-Marie, interdisant, ainsi et définitivement, l’accès aux thermes par la monumentale Porte d’entrée du bâtiment, dessinée par Lanternier.

ACTE 2

Le deuxième sujet que je devais aborder parallèlement à la première intervention engagée sur le site, consista à faire du mieux possible pour que fusionnent l’architecture des thermes, leur fonctionnalités principales et leurs espaces de déambulation avec le paysage que je devais réinstaller, en totalité, autour des ouvrages anciens ou nouveaux que je réhabilitais ou que je construisais.

Le projet des thermes de Nancy, tel que je le voyais à terme, se rapprochait, par son importance, plutôt des configurations habituellement réservées aux installations publiques de centre-ville. Les ouvrages déjà en place tutoyaient les limites du Parc centenaire Sainte-Marie, mais sans en faire complètement partie. Je décidai donc de rapprocher les surfaces plantées et boisées du Parc de la rue sergent Blandan, après m’être assurée que le transfert du centre sportif sur les terrains sud de l’opération était possible.

Le Parc retrouvait donc ses origines et les espaces libres et verts enserraient les thermes. Mais, pour arriver à en donner une lecture simple, je devais regrouper le plus possible les parties construites en extension, convaincue que l’alternance entre ce qui ressortirait des thermes bâtis et de leurs jardins apparaitrait ainsi, au mieux.

ACTE 3

Le troisième sujet que je devais aborder parallèlement aux deux premiers, consista à me convaincre de la meilleure façon de prolonger une opération affichant une architecture classique par une opération de programme similaire -de surcroit- et dont les composants s’adresseraient en priorité aux outils et aux signes contemporains. L’analogie des programmes laissant penser -plus que dans n’importe quelle autre opportunité d’extension- que le style frappant les édifices d’origine n’avait vraiment que de bonnes raisons d’être repris.

A partir de là je m’interrogeai : Devais-je poursuivre dans la continuité des fonds de plan de Lanternier, tel que l’aurait peut-être décidé un architecte des monuments historiques puis dupliquer symétriquement, sur son axe d’origine, son architecture ? Devais-je décider d’effacer complétement les existants et de repenser le projet comme un ensemble immobilier homogène, produit par un(e) seul(e) architecte ? Ou, ne devais-je pas tenter plutôt la juxtaposition de deux œuvres : la première issue du classicisme, la seconde émergeant de composants plus actuels ?

Dans le registre d’un dessin plus libre et moins académique, en quelque sorte ?

Ce que je fis.

PERTINENCE & IMPERTINENCE

La piste semblait heureuse. Elle était à la fois pertinente et impertinente.

Pertinente d’abord par la densité que j’apportais au projet d’ensemble des thermes, alors que les demandes fonctionnelles – chacune très spécifique- appelaient plus naturellement à devoir les éparpiller sur le terrain. Pertinente ensuite aussi par la géométrie simple et efficace que je proposais pour prolonger le plus simplement possible les ouvrages de Lanternier (disposition extérieure), ou par celle, circulaire, que j’empruntais aux bassins existants pour les projeter, semblables, dans mes nouveaux ouvrages (dispositions intérieures). Pertinente, enfin par la duplication du dôme central, œuvre à forme imitée, devenue capitale dans l’architecture des nouveaux espaces.

Impertinente par les ruptures d’écriture et de rythmes que j’installais en symétrie parfaite des façades dessinées autour de 1910. D’abord en opposant à la verticalité des colonnes des anciens déambulatoires l’horizontalité des cadres de façade des extensions. Puis, en forçant le trait, en m’aidant d’une couleur sombre et brillante recouvrant la totalité de mes châssis pendant que tout ce qui ressortait du fragment sauvegardé afficherait une couleur claire et mate. Impertinente, enfin, dans la façon extrêmement légère et lumineuse de construire un dôme moderne qui, s’il apparait à première vue comme dupliqué, n’en expose pas mois une technicité et un étalage de surfaces luminescentes explosives et inhabituelles pour ce type d’ouvrage.

La composition générale est ainsi préservée et la modernité mise en avant-garde.

Elles ressortent même, toutes les deux, renforcées par cette symétrie criante qui apparait de part et d‘autre de la porte d’entrée historique et principale. Acte volontaire et assumé. Le résultat, légitimement attendu avec inquiétude, devait se montrer particulièrement encourageant à travers des appréciations devant mettre fin aux doutes que la composition d’un avant-projet avait suscités.

© Cyrille Weiner

 

© Cyrille Weiner
L’ART D’ASSEMBLER

Jusqu’au début du XXème siècle, un même langage était partagé dans l’architecture. Une méthode qui devait assurer une certaine cohérence à la production. L’art de composition prévalait sur tout le reste. Et la fonctionnalité des édifices s’adaptait à la forme.

Dans ce même souci de cohérence stylistique Louis Lanternier devait choisir de donner à son projet une écriture néo-classique qui n’était pas sans s’inspirer des façades XVIIIème de la Place Stanislas, à Nancy, et de celles, très significatives, des thermes antiques.

Colonne ionique, corniche, pots à feu, balustre galbée constituaient la gamme de ce vocabulaire de formes s’inscrivant dans une syntaxe commune à l’architecture classique et qui affirmait, là, l’importance de l’équipement. La façade en béton pierre s’affichait bien, du coup, comme un matériau emblématique du début du XXème siècle.

L’écriture contemporaine que j’ai pu expérimenter à cette occasion rattache tous les éléments présents dans le site, les uns aux autres. Elle s’appuie sur un rythme de façade dont les dimensions permettent indifféremment l’installation des éléments distincts du programme donné. Elle est l’expression d’une réflexion sur l’art d’assembler librement les choses plutôt que chercher à les composer classiquement entre elles, d’après des codes parfaitement éprouvés et convenus.

Le jeu de profondeur donné par la façade contemporaine fait écho à la capacité de l’architecture historique à jouer avec les ombres. L’ordonnancement de ses lignes principale est légèrement contrarié par les ondulations qui dessinent les volets perforés.

On peut alors affirmer que cette réalisation est le fruit d’une synthèse complète entre des paramètres objectifs (fonctionnement et économie) et de données techniques (régulation thermique, protection solaire) auxquels on n’oubliera pas d’associer certains paramètres subjectifs, indispensables au sens critique et à la destination sensible de l’espace.

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PUBLIC & PRIVÉ

Cette réalisation, dont l’apparence relève d’une détermination à faire au mieux dans un cadre financier contraint, aura réussi peut-être à démontrer que lorsqu’un objectif d’exigence est posé dès le début des études par un élu convaincu d’y arriver et balisant le parcours des intervenants avec une grande autorité, la belle histoire est possible.

Ici, la commande des thermes fut publique et le projet fut lancé par la Métropole de Nancy, avec délégation de service public à la société ValVital, spécialisée en fonctionnement et gestion de thermalisme en France. Et Bouygues Construction en fut l’entreprise de construction.

Dès la phase de consultation (concours d’architecture), les attentes de la Métropole étaient énoncées. C’est ainsi qu’en bonne intelligence, les architectes (architectes de projet, architecte des monuments historiques et architectes DRAC) comme l’entreprise retenue ont pu travailler à l’établissement d’un projet interrogeant à la fois le thermalisme, l’espace, la construction, et l’économie. La complexité du projet devait donner aux acteurs une responsabilité inhabituelle sur un ensemble de questions qui ne pouvaient trouver de réponses que sous une forme parfaitement synthétique, tant les critères s’emmêlaient.

LE PROJET

L’opération de Nancy-Thermal est construite autour d’un programme composé d’un espace dédié au thermalisme conventionné, à des espaces de bien-être, à une résidence hôtelière et à un restaurant intégré, à un espace de sport et de loisirs. Le plan des thermes, proprement dit, une fois recomposé, est de facture classique. Il présente une belle et surprenante symétrie et s’équipe, en série, de dômes majestueux déposés au droit de chacun des trois espaces principaux constituant les thermes. Les espaces de bien-être sont regroupés autour du grand bassin historique, de forme circulaire et couronné par le grand dôme -ou la grande coupole- qui a été restaurée et livrée au plus près de son architecture d’origine. Plus au centre, dans l’axe de l’entrée monumentale, percée d’arcades et très élégante par son côté plus acéré, une autre coupole, plus petite que la précédente, surplombe le point central et stratégique de l’équipement. Pieds secs et pieds mouillés s’y croisent. Plus près de l’avenue, c’est l’unité de soins apportés aux curistes qui réunit ses espaces autour du grand bassin multifonctionnel de 15 m de diamètre. Un bassin de mobilisation et un couloir de marche dans l’eau y sont associés. 70 cabines, réservées pour les soins respiratoires, la rhumatologie et la phlébologie complètent le dispositif médical.

Au-dessus du bassin on peut découvrir, le nouveau dôme, pièce principale de l’extension dont je décidai de revisiter l’architecture classique. J’y mis de hautes ouvertures à travers lesquelles la lumière entrerait pleinement dans l’espace du bain que viendrait compléter un lustre translucide distribuant dans l’espace une lumière diaphane.

Éblouissement interdit. Nature expressive d’une lumière contribuant à la respectabilité du lieu.

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L’EAU, EN CONCLUSION

L’eau, ses fluidités, reflets inattendus de ciels, de colonnes ou de feuillages, proposent des transparences troubles ou embuées, doublant les effets de perspectives qui s’ouvrent sur une nature très proche, installant dans l’espace des thermes une cadre métaphysique inhabituel qui apaise le curiste.

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