Tribunes

Avis d’avocat : droits d’auteur des architectes, les exceptions

L'architecture dans l'œil du juridique : à l'invitation de L'Architecture d'Aujourd'hui, le cabinet d'avocats Loyseau de Grandmaison, expert en conseil et contentieux du droit de la propriété intellectuelle, du marché de l'art et des affaires, a accepté de rédiger pour AA plusieurs articles pour lire autrement l'architecture. 

Après le design, la réhabilitation, les formes naturelles et "la question de la destruction d'oeuvres architecturales, Diane Loyseau de Grandmaison et Tiphaine Aubry, avocates au Barreau de Paris, nous détaillent les exceptions aux droits d’auteur protégeant les œuvres architecturales.

Quelles exceptions aux droits d’auteur des architectes ?

Le droit d’auteur protège les œuvres d’architecture (article L.112-2 alinéa 7 du code de la propriété intellectuelle) dès lors qu’elles sont originales, c’est-à-dire marquées de l’empreinte de la personnalité de leur auteur, conformément à la jurisprudence constante.

Cela signifie que la reproduction ou la représentation d’une œuvre architecturale originale protégée doit être autorisée par l’architecte qui en est l’auteur. À défaut, ces actes constituent des contrefaçons. 

En France, les droits patrimoniaux (droits de reproduction et de représentation) de l’architecte sont protégés durant toute sa vie et pour une durée de 70 ans après sa mort ou après celle du dernier des architectes ayant collaboré à l’œuvre architecturale, si elle est dite de collaboration. Les droits moraux de l’architecte sont quant à eux perpétuels et imprescriptibles.

Mais cette protection du droit d’auteur n’est pas sans limite et souffre, ou bénéficie (tout reste une question de point de vue comme nous le verrons) de nombreuses exceptions, légales (article L.122-5 du code de la propriété intellectuelle) ou jurisprudentielles, telles que les exploitations dans le cercle de la famille ou réservées à l’usage privé du copiste, l’exception d’actualité, l’exception de panorama ou la théorie de l’accessoire et de l’inclusion fortuite. 

Cercle de famille et copie privée 

De façon générale, le législateur autorise les exploitations d’œuvres de l’esprit protégées lorsqu’elles sont réservées à l’usage privé des copistes ou réalisées dans le cercle de la famille. 

Il peut s’agir, par exemple, de photographies dites de voyage et de famille représentant une œuvre architecturale. Cette œuvre peut, dans ce contexte, être fixée sur des supports physiques ou numériques que sont les photographies, et être représentée dans un cercle familial ou très restreint (la question des blogs et de leur caractère non lucratif s’est souvent posée) sans l’autorisation préalable de l’architecte, dès lors que ces actes d’exploitation sont réalisés à des fins strictement personnelles et non lucratives. 

Exception d’actualité au bénéfice de la presse écrite, audiovisuelle ou en ligne 

La Loi a aussi prévu une exception pour la reproduction ou la reproduction d’une œuvre architecturale par voie de presse écrite, audiovisuelle ou en ligne, dans un but exclusif d’information immédiate et en relation directe avec cette dernière, sous réserve d’indiquer clairement le nom de l’auteur. 

Il s’agit ainsi de faciliter le travail des journalistes, qui ne sont pas en mesure de solliciter des autorisations prélalables à l’exploitation d’images d’actualité reproduisant des œuvres architecturales et destinées à être publiées dans un bref délai du fait de l’actualité.

Bien entendu, pour que cette exception puisse être appliquée, il faut être en mesure de prouver le « but exclusif d’information immédiate », c’est-à-dire que l’exploitation de l’image est liée à un sujet d’actualité et que l’œuvre architecturale présente un lien direct avec l’information. 

À titre d’exemple, la reproduction de l’œuvre architecturale abritant la Fondation Louis Vuitton, créée par l’architecte Franck Gehry, ne présenterait a priori pas de lien direct avec une information liée au changement climatique ; il en serait autrement pour une information d’actualité telle que la divulgation de la médiatique œuvre de customisation colorée de la structure de la Fondation, par l’artiste contemporain Daniel Buren, intitulée L’Observatoire de la Lumière, en mai 2016.

Intérieur de la Fondation Louis Vuitton © Khamke Vilaysing on Unsplash

Exception de panorama 

Transposant la directive européenne 2001/29/CE du 22 mai 2001 sur l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans la société d’information, le code de la propriété intellectuelle a instauré, en 2016, une exception supplémentaire dite de panorama, qui autorise « les reproductions et représentations d’œuvres architecturales et de sculptures placées en permanence sur la voie publique, réalisées par des personnes physiques, à l’exclusion de tout usage à caractère commercial » (article L.122-5-11 dudit code).

Soulignons que cette exception est limitée, puisque même si les œuvres architecturales sont le plus souvent placées en permanence sur la voie publique (contrairement aux sculptures ou aux œuvres de street art par exemple), cette exception ne vise que les reproductions et représentations réalisées par des personnes physiques et exclut tout usage à caractère commercial, ce qui rejoint en partie l’exception de copie privée préexistante.

Admettons qu’il n’est pas toujours aisé de distinguer avec certitude usages commerciaux ou non commerciaux, notamment sur Internet, avec ses bannières publicitaires et blogs sponsorisés, ou sur les réseaux sociaux, dont les conditions générales d’utilisation autorisent les exploitations à titre commercial des photographies que les utilisateurs imaginent ne poster qu’à des fins personnelles.

Toutefois, force est de constater que cette exception de panorama ne génère pas beaucoup de jurisprudence. Ce qui peut s’expliquer non seulement par la difficulté à évaluer le préjudice généré par de telles exploitations, mais également par le fait que la jurisprudence avait déjà élaboré des exceptions assez similaires, en particulier au travers de la théorie de l’accessoire par exemple. 

Théorie de l’accessoire 

En effet, la jurisprudence avait admis de longue date que l’exploitation à des fins commerciales d’une œuvre protégée, située dans un lieu accessible au public, pouvait être interdite si elle constituait le sujet principal de la reproduction ou de la représentation (Cass. 1ère civ., 4 juillet 1995, n°93-10.555) [1]. A contrario, il fallait en déduire que si l’œuvre architecturale n’en constituait pas le sujet principal, sa reproduction ou sa représentation, y compris en totalité (par référence à l’exception – une de plus – de courte citation) y compris à des fins commerciales, était autorisée.  

Dans l’affaire de la place des Terreaux à Lyon (Cass. 1ère civ., 15 mars 2005, n°03-14.820), la Cour de Cassation avait renforcé cette jurisprudence, en écartant la contrefaçon lorsque l’œuvre revendiquée se fondait dans un ensemble architectural dont elle ne constituait qu’un simple élément, ce qui autorisait l’exploitation à titre commercial de cartes postales reproduisant cet ensemble architectural. [2]

Puis dans un arrêt Être et avoir (par référence au titre de ce documentaire bien connu ; Cass.1ère civ., 12 mai 2011, n°08-20.651), la Cour de Cassation avait consacré l’exception d’inclusion fortuite, la doctrine s’interrogeant sur le fait de savoir si les actes d’exploitation devaient être cumulativement accessoires et fortuits pour être dispensés d’autorisation, ou si ces critères étaient alternatifs. 

C’est ainsi qu’au-delà des exceptions légales, perdurent ces exceptions jurisprudentielles, qui constituent ensemble une belle palette d’arguments pour les plaideurs de tous points de vue. 

 


Diane Loyseau de Grandmaison et Tiphaine Aubry

Avocats au Barreau de Paris
www.cabinetldg.fr

 


[1] L’affaire concernait une société d’édition qui commercialisait des cartes postales sur lesquelles était reproduite la Géode installée dans la cité des sciences et de l’industrie. 

[2] NDLR. Rappel des faits : « Les demandeurs, deux architectes de renom et auteurs de l’aménagement de la place des Terreaux à Lyon, ont assigné en contrefaçon quatre éditeurs de cartes postales, leur reprochant de diffuser, sans leur autorisation ni mention de leur nom, des vues représentant la place, tant de jour que de nuit, sur lesquelles leur œuvre est reproduite. Ayant relevé que, telle que figurant dans les vues en cause, l’œuvre des architectes se fondait dans l’ensemble architectural de la place dont elle constituait un simple élément, la cour d’appel en a exactement déduit qu’une telle présentation de l’œuvre litigieuse était accessoire au sujet traité, résidant dans la présentation de la place, de sorte qu’elle ne réalisait pas la communication de cette œuvre au public. » (source : www.legipresse.com)

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