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Les objets d’AA #5

Architecture, arts plastiques, sciences mais aussi design : AA propose un nouveau rendez-vous consacré aux designers et aux maisons d’édition qui, chaque jour, conçoivent et développent de nouvelles solutions pour nos intérieurs. Voici une sélection de nouveaux objets ingénieux et poétiques qui forgent, chacun à leur manière, l'histoire du design contemporain...

Guillaume Ackel

Matières précieuses et savoir-faire ravivés, sélection de pièces signées Reda Amalou

Bien connu des lecteurs de L’Architecture d’Aujourd’hui en qualité de fondateur de l’agence d’architecture AW2 ou président de l’AFEX (l’association des architectes français à l’export), Reda Amalou l’est sans doute moins pour son travail de designer. Pour le découvrir, il faut se rendre rue de Varenne, à Paris, sous une vaste verrière d’inspiration Art Déco, celle de la Secret Gallery – une ancienne chapelle désacralisée – où sont exposées une sélection de pièces dessinées par l’architecte.

Œuvre unique ou produit en édition limitée, chaque objet fait valoir un matériau choisi avec soin, ou incarne un savoir-faire d’exception, comme par exemple, le cabinet Lala (2019), sans doute nommé en clin d’œil à l’atelier hongkongais Lala Curio qui a réalisé le décor en émail cloisonné. La technique du cloisonné consiste à dessiner des motifs à l’aide d’une mince bandelette métallique, soudée sur le champ, puis remplir d’émail les zones ainsi cernées, avant de cuire et poncer le tout. Cet art, dont les traces les plus anciennes remontent à l’époque byzantine, fut particulièrement prisé dans le Paris du XIVe siècle où il atteignit un grand raffinement ; mais c’est en Asie, à la même période, que des ateliers rivaliseront de maîtrise pour alimenter la production impériale de la dynastie Ming.

Autre objet, autre matériau, autre région géographique, autre histoire : la collection de paravents Panama (2019). C’est donc au Panama, plus précisément dans les profondeurs du lac Gatun, que Reda Amalou est allé puisé, pour cette collection, non seulement l’inspiration mais aussi les ressources. Car le bois dont sont composés les paravents, du noyer précisément, provient de tronçons engloutis par les eaux et ainsi « maturé » pendant plus de 100 ans. La caractère exceptionnel du matériau se suffisant à lui-même, un assemblage discret en laiton permet la création d’un paravent sculptural à la ligne douce et primaire.

Enfin, juste pour le plaisir, retenons également la table Inlay (2023), « célébration toute entière à la matière ». Ce petit objet tripode de 45 cm de haut et 45 cm de diamètre, édité en série limitée à 8 exemplaires, adopte une forme qui laisse s’affirmer la matière rare dont il est fait – un marbre dit « Bamboo ». Originaire d’Italie, la pierre se caractérise par un veinage irrégulier, tout en contrastes de blancs, beiges et gris, ponctués de nœuds – le dessin est comme liquide. Sur le plan technique, saluons la finesse de la découpe et la netteté chirurgicale de l’assemblage.

www.redaamalou.com

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Vector Tristan Lohner Wendelbo RBC

Assemblage capable, table Vector par Tristan Lohner pour Wendelbo

Présentée au showroom parisien de RBC, dans le cadre de l’exposition Shapes mettant en scène les nouvelles pièces dessinées par le designer Tristan Lohner pour la maison danoise Wendelbo, la table Vector surprend d’abord par ses dimensions hors normes. Il faut ensuite passer la tête sous le plateau, pour s’intéresser au système de piètement, là où s’exprime souvent toute l’ingéniosité d’une table. Le système en question est très simple, d’une élégante justesse. Il repose sur l’assemblage de tubes d’aluminium extrudé et d’une unique pièce de fonderie, répliqué quatre fois (pour les quatre pieds) et biseautée de manière à créer les poussées concentriques des quatre pieds. Grâce à la simplicité de cet assemblage, on imagine facilement raccourcir ou agrandir les tubes d’aluminium pour décliner à l’envie l’objet, de la grande table de réception à la petite table basse (un modèle actuellement à l’étude, d’ailleurs). La conception de ce système capable n’est sans doute pas anodin et c’est ici qu’il faut préciser qu’en plus d’être designer, Tristan Lohner est aussi directeur du groupe RBC depuis 2014. RBC, distributeur de mobilier devenu un incontournable du secteur en France, s’est spécialisé depuis plusieurs années dans le conseil et l’accompagnement des architectes pour l’aménagement des espaces intérieurs. Ainsi, ce genre de pièces « stratégiques » comme la table Vector, par ses possibles déclinaisons, pourrait offrir des solutions commerciales et techniques bienvenues pour les agenceurs de la marque.

www.rbcmobilier.com

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Marcel Breuer Sebastian Herkner Thonet

Un modernisme aux accents contemporains, chaises S 32 et S 64 revues et colorées par Sebastian Herkner pour Thonet

C’est dans les vieux pots que l’on fait la meilleure confiture. Ici, les « vieux pots » en question sont les grands classiques du design « moderniste », inspiré par le mouvement moderne dont Charlotte Perriand, Robert Mallet-Stevens, Eileen Gray, Marcel Breuer, entre autres, figurent comme les plus illustres représentant·es. Leurs créations, axées sur la fonctionnalité et animées par l’âme industrieuse de l’époque, connaissent un franc succès qui a, depuis, traversé les âges… et attisé maintes convoitises. Au début du XXe siècle, nombreuses sont les entreprises qui n’hésitent pas à avancer à pas feutrés sur le fil de l’hommage, frôlant la copie, pour teinter d’admiration ce qui parfois s’apparente tout bonnement à du pillage. Citons par exemple l’entreprise espagnole Sklum, créée en 2014, qui revendique une « une profonde admiration pour les grands artistes du XXe siècle, dont les idées et les créations sont [pour elle] une source inépuisable d’inspiration » – les iconiques chaises S 32 et S 64 dessinées par Marcel Breuer pour la maison Thonet, par exemple, semblent avoir été particulièrement inspirantes pour la marque espagnole. Or, « l’hommage ne doit pas être un acte de contrefaçon qui avance masqué », rappelait Marc-Olivier Deblanc, avocat spécialiste en droit de la propriété intellectuelle interrogé par la journaliste Marie Godfrain dans le n° 444 de L’Architecture d’Aujourd’hui (article « Hommage, copie ou contrefaçon », août-septembre 2021).

Est-ce en réaction à ce vol en bande organisée que les grandes maisons d’édition se réapproprient leurs classiques ? Ou par pure nostalgie ? Éléments de réponse au prochain Salone del Mobile de Milan où le designer allemand Sebastian Herkner présentera, avec Thonet, une série de nouvelles déclinaisons (officielles cette fois) des chaises S 32 et S 64 avec un piètement en acier tubulaire teinté et du cannage foncé. La confiture sera-t-elle plus fruitée ?

www.thonet.de

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