Pays des Sources du lac d’Annecy, vu du ciel ©Timothée Nallet
Pays des Sources du lac d’Annecy, vu du ciel ©Timothée Nallet

Tribune

L’art de la cabane

Ce texte est issu du hors-série AA Projects consacré au Festival des cabanes paru en mars 2020.  Signé par Alain Derey – docteur en philosophie et directeur de l’École Nationale Supérieure d’Architecture de Montpellier – cet avant-propos interroge l’art de bâtir une cabane.

Il y a comme un paradoxe à demander à des architectes, aussi jeunes soient-ils, de participer au Festival des cabanes… Un léger parfum de provocation peut-être aussi. Faut-il véritablement être architecte pour en construire une, c’est-à-dire pour maintenir ensemble ce qui pourrait se disperser, se disjoindre, et valoriser l’essentiel, dans un accord permanent entre le dehors et le dedans qui est le propre de la cabane ? Qu’est-ce qui peut en faire l’intérêt sinon la fausse simplicité, le nécessaire recours à la main de l’artisan qui façonne, qui tire de son expérience et du travail des matériaux la forme construite, pour mieux ordonnancer l’édifice ? Si ce n’est pas la cabane comme maison primitive qui importe, pourquoi revenir à ce frêle édifice ? C’est bien plutôt l’humilité d’un geste qui renvoie à l’histoire de chacun des individus constructeurs et à la possibilité toujours préservée d’un retour sur soi. Les « grands architectes » savent-ils toujours faire des cabanes ?

J’ai découvert il y a peu de temps que matali crasset, certes designer, avait répondu à l’appel de la forêt en réalisant une commande publique bucolique1. Elle a ainsi fait réaliser une série de maisons sylvestres aux titres évocateurs – la noisette, le champignon, la chrysalide, le nichoir–pour que l’espace d’une nuit, les visiteurs soient au plus près des éléments dans un environnement naturel. C’est évidemment très anecdotique et nous sommes loin du sens intrinsèque de la cabane comme lieu permanent de dépouillement.

Faut-il alors ramener vers nous celui qui, au XIXe siècle, s’était insurgé contre la civilisation américaine en décidant de s’enfoncer dans les bois pour y construire de ses mains son refuge au bord du lac de Walden ? Henry DavidThoreau a fait florès et son livre devenu culte, Walden ou la vie dans les bois, connaît à ce point un succès répété qu’il est proposé régulièrement en morceaux choisis. Ce qui me semble être le vrai paradoxe de l’art de la cabane est la forme de nomadisme qui lui est attachée. Sans fondations, elle se tient d’elle-même au- dessus du monde, dans une forme de déterritorialisation. Elle relève pour ainsi dire du nomadisme, comme si, n’étant pas appelée à durer, elle pouvait être reconstruite en n’importe quel lieu et ainsi accompagner la destinée de son concepteur. Elle est d’abord et avant tout dans l’esprit de celui qui peut à tout moment la construire comme un ultime recours.

1 L’art à ciel ouvert, la commande publique au pluriel (2007-2019), Flammarion, 2019

 

 

Découvrez l’histoire du Festival des cabanes dans le hors-série AA projects dédié, disponible sur notre boutique en ligne.

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