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Dies Irae (Sauver l’œuvre de Fernand Pouillon)

L’association Les Pierres Sauvages de Belcastel, présidée par Catherine Sayen, a alerté le 10 novembre dernier le ministère de la Culture sur les menaces qui pèsent sur l’œuvre française de Fernand Pouillon. Mais qu’en est-il exactement de ces menaces ?

S’agirait-il d’un rongeur qui attaquerait par le pied les colonnes titanesques de la façade de l’ensemble de la résidence du parc construit en 1959/1961 ? Ou bien d’un insecte lithophage récemment découvert dans les arcades des bâtiments du vieux port de Marseille qu’un navire venant d’une île lointaine aurait débarqué dans sa cargaison de bleu granit ? Ou bien d’une attaque en règle de commandos partisans d’une architecture « moderne » c’est à dire volubile et dégingandée ?

Non point ! Il ne s’agit que d’un règlement thermique lobbyiste, la suite pour dingos des RT (réglementation thermique) déterminer à défigurer l’ensemble de l’architecture en transformant les bâtiments en figure de carnaval ! Grâce à un forcing surprenant alliant les forces industrielles aux amateurs du fromage crée par ces règles thermiques, (je veux parler des ingénieurs thermiciens qui se régalent, se pourléchant les babines en grossissant jusqu’à étouffer de suffisance), nos constructions sont menacées par le déferlement des costumes carnavalesques dont on les afflige. Sans parler de la cohorte des cloportes d’architectes qui, pensant qu’ils sont devenus des artistes par la vertu d’une seule règlementation thermique se déhanchent et se contorsionnent pour trouver le nouvel habillage qui fera le buzz. Et tous défilent en rang sur les publications de la mode architecturale. La liste des solutions indigentes et affligeantes est longue et je ne prétends pas à l’exhaustivité : tissu inoxydable poli miroir (eh oui…) ensemble tôle perforée à pois, chevrons et autres motifs, matière naturelle de bois brut ou bien brûlé du dernier chic… Chacun de nous en connaît des exemples dans sa propre ville. Et beaucoup d’autres quartiers que je ne connais point tant leur médiocrité m’écœure et m’interdit d’y mettre les pieds.

À quand le doublage thermique par l’extérieur du château de Versailles ? Il faudra organiser un grand concours international d’architectes afin de proposer un masque à cette crotte isolante dégoulinant crachée sur l’œuvre de Jules Hardouin-Mansart et de Le Nôtre.

Imaginons les propositions. Van Noujele, talentueux et inspiré, épousera les façades de bardage miroir pour refléter en le démultipliant par le jeu des corniches et allèges ouvragées le parc de Le Nôtre dans le château inversant ainsi les valeurs de l’inerte et du vivant, comme une nouvelle galerie des glaces entre nature et artefact… Facques Jerrier, précis et inventif, le revêtira de son habit préféré, le panneau photovoltaïque transformant le palais du roi Soleil en une centrale électrique Solaire. Tury Ticciori, fastueux et brillant, drapera le château d’une belle résille BFUP laquée rose, dont le dessin aura été fourni par la dentelle de la petite culotte de madame de Montespan, révélant ainsi à la foule des visiteurs les dessous de la royauté à la française…

Une étude conduite par l’EPFZ* qui porte sur l’opération de la résidence le parc à Meudon la forêt de Fernand Pouillon a démontré que le bilan carbone rapporté à 60 ans d’usage du bâtiment bat tous les records d’économie d’énergie. Bilan très favorable dû au bas coût carbone de la pierre. Les bâtiments en pierre qui constituent la majorité de nos villes sont la démonstration d’une attitude environnementale juste. Il est à craindre que nous n’ayons plus le loisir de tels exemples car nos bâtiments modernes sont faits de matériaux qui ont une obsolescence programmée de quelques dizaines d’année**!

Je suis en colère devant tant d’absurdités ! Combien de temps serons-nous condamnés à suivre des règles dont les bilans prouvent de plus en plus leur inefficacité. Des isolants dont l’efficacité diminue au fil du temps et devront être remplacés à la fin du remboursement des emprunts de construction. Des ventilations double flux nids à microbes. Des occupants qui, ouvrant ou fermant les fenêtres à leur guise, dégradent les performances. Et ne respectant pas les températures de consignes rendent inopérant tout dispositifs prétendument « développement durable ».

Rapporté à des analyses très limitées dans le temps et en ne prenant pas en compte l’énergie grise des appareils indispensables utilisés, il est facile de dire qu’une consommation annuelle d’énergie pour chauffer une habitation est diminuée par une conséquente épaisseur d’isolant. Et il n’est pas besoin de payer des bilans thermiques pour le dire… Je pourrais ajouter qu’en diminuant et en condamnant les ouvertures, on obtiendrait encore de meilleurs résultats. Et qu’en supprimant les occupants facteurs de perturbation, les résultats seraient parfait.

L’étude de l’EPFZ est, à cet égard, exemplaire. Car, réalisée avec un groupe d’étudiants de Science Po Paris, cette étude donne la parole aux habitants. Et leur avis vaut bien plus que tous les calculs. Pour n’en citer que quelques-uns.***

Fernand Pouillon ne béatifiait pas comme certains confrères célèbres les matériaux modernes. Géniale intuition ? Les opérations d’Alger, construites en pierre massive, et sans avoir jamais été entretenues bien que soumises aux séismes, sont dans un état parfait. Et ainsi des opérations de Marseille, Aix, de la région parisienne… Allons-nous détruire par la force de la loi nos plus grands chefs d’œuvre d’architecture et d’urbanisme ? Et également exemples remarquables pour le futur durable que nous appelons tous de nos vœux ?

C’est pour toutes ces raisons que je pousse ce cri de colère. Que tous ceux qui sont en filigranes dans ce texte reçoivent l’expression de mon profond respect et de ma tendresse, en espérant les voir prochainement à nos côtés pour défendre l’œuvre d’un maître qui honore le métier difficile que nous exerçons. Et pourquoi pas, avec nous, agir pour bouleverser ce monde productiviste qui dénie l’intelligence en détruisant nos conditions de vie sur terre.

Gilles Perraudin
Gallician, novembre 2016

 

The hidden value of stone: Life Cycle Assessment of the construction and refurbishment of a 60-year-old residential stone building, D. Ioannidou, S. Daglas, G. Kallivokas, M. Ploumaki, S. Zerbi and G. Habert, 2016.

** Les spécialistes s’accordent sur la durée de vie d’un B.A. qui, sans entretien (alors comparable à la pierre), ne survit que 70 ans.

*** Propos d’habitants:
« Génial, imaginez ce que cela serait si cette résidence avait été construite en béton. C’est propre, c’est impeccable. C’est très agréable. […] Cela change tout. On aurait eu du béton cela aurait été différent. Il a réussi à construire moins cher avec un matériau plus noble. »
« La pierre de taille, c’est un plus. Cinquante ans après, ça n’a presque pas vieilli. Des immeubles de la même époque sont vraiment détériorés, celui-là est bien conservé. »
« Ce n’est pas la même construction [que les immeubles dégradés], je pense que le côté pierre de taille joue vachement. »

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