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De l’ENSA Belleville à la Station F : entretien avec Andrea Goudal

© Mathilde Weill
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Un an après sa création, la plateforme d’appels à projet WiiN Contest est hébergée à la Station F, dans le 13ème arrondissement de Paris. Andrea Goudal, un des co-fondateurs du projet, est encore étudiant à l’ENSA Paris-Belleville, et compte bien continuer à marier entrepreneuriat et architecture dans sa pratique. Rencontre.

L’Architecture d’Aujourd’hui : Qu’est-ce que WiiN Contest et comment ce projet est-il né ?

Andrea Goudal : WiiN Contest est l’une des activités principales de la société WiiN. Il s’agit d’une solution de création et de diffusion d’appels à projets qui permet à des acteurs publics, des fondations et des entreprises de solliciter l’intelligence collective. Un appel à projets est une action qui appelle une communauté à proposer des projets dans le cadre de besoins spécifiques. Ces besoins peuvent toucher la création, la communication, l’innovation. Cette démarche permet de valoriser des talents et de favoriser l’engagement citoyen.

Durant mes études, j’ai répondu à de nombreux concours d’architecture. C’est comme ça que j’ai découvert l’univers des concours, challenges et prix que nous appelons « appels à projets ». C’est une démarche, fondée sur l’idée qu’un ensemble d’acteurs peut proposer une multitude de solutions face à des enjeux concrets ou théoriques. C’est l’idée même d’intelligence collective.

L’idée de départ de WiiN Contest était de créer une plateforme de référencement des concours d’architecture, car il y avait un réel manque de clarté et d’accès à l’information. C’est en explorant cette idée que j’ai commencé à regarder s’il y avait un modèle d’application plus étendu. Je me suis rendu compte qu’il n’y a pas qu’en architecture que l’on organise des appels à projets, mais dans plus d’une trentaine d’autres disciplines telles que l’innovation, l’écriture, le design et même le droit… De plus, cela ne touche pas que les étudiants, mais tous les professionnels.

Toutefois, comme je le disais précédemment, ce qui m’a donné l’envie de faire de WiiN Contest un projet qui va au-delà d’un simple annuaire de référencement de contenu, c’est l’objectif de dire que tout le monde détient un savoir, des compétences, des idées et des ambitions. Ce n’est pas une question de diplôme ou de milieu social, c’est une question d’expériences personnelles et d’envies. Avec l’intelligence collective, nous pourrions résoudre une partie des enjeux de notre société de manière plus rapide et plus efficace.

Cette ambition ne peut pas être réalisée seule, donc j’ai commencé à rechercher des associés. Je me suis orienté vers des personnes qui avaient déjà fait des concours avec moi, avec compétences complémentaires des miennes.

© Mathilde Weill
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AA : Vous êtes entrepreneur et étudiant en architecture. Comment vos études d’architecture ont-elles nourri votre projet entrepreneurial ?

AG : Je ne pourrais pas dire que mes études en architecture m’ont apporté le « bagage » nécessaire pour entreprendre. J’ai commencé à étudier l’architecture après avoir hésité entre des études de sciences politiques ou des études de commerce. Pendant mes études, j’ai saisi un maximum d’opportunités qui m’ont servi pour mon projet. En première année d’étude, j’ai été coordinateur de projet pour le Solar Décathlon qui s’est tenu à Versailles. J’ai également été représentant étudiant à l’ENSA Grenoble, j’ai piloté des projets et j’ai fait partie de différentes commissions pédagogiques.

Je pense que les études d’architecture m’ont avant tout appris une philosophie que j’affectionne particulièrement : l’architecte ne doit jamais arrêter d’apprendre, il faut s’ouvrir, voyager, découvrir de nouvelles cultures et de nouvelles pratiques.

Cependant, je pense qu’on sous-évalue, dans les études en architecture, la notion entrepreneuriale de la profession. On pense davantage au concept et cela pousse à faire de l’entre-soi porté par un jargon spécifique. Finalement, on en oublie les enjeux de la gestion du projet, de la politique, de l’économie, de la communication et bien d’autres encore qui semblent essentiels à toutes les disciplines.

AA : Vous avez créé une plateforme de création et de diffusion d’appels à projets et de concours. Le recours au concours est aujourd’hui l’un des aspects critiqués du métier, car il encourage la précarité des jeunes agences par le travail gratuit. Comment vous placez-vous dans ce débat ?

AG : WiiN Contest permet la création et la diffusion d’appels à projets, et non d’appels d’offres de marchés publics ou privés. Les mots sont proches, mais l’enjeu est quant à lui très différent que ce soit dans la réglementation ou l’exécution. Toutefois, les problématiques du point de vue des participants restent similaires. Nous cherchons à sensibiliser les organisateurs sur l’importance de valoriser les participants et les projets qui ne sont pas retenus, car c’est une somme d’intentions qui représente de réelles potentialités.

Aujourd’hui, je ne pense pas que le problème vienne de la mise en compétition, mais plutôt de la clarté et de la flexibilité des critères de sélection. À titre d’exemple, la place des « références » est prépondérante. Pourquoi faudrait-il avoir construit 20 piscines pour en réaliser une 21ème ? C’est une importante barrière pour les jeunes talents.

© Mathilde Weill
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AA : Dès son lancement, votre plateforme a connu un succès rapide, car elle comblait un manque dans les outils des architectes : centraliser les concours pour étudiants et professionnels. Avez-vous d’autres idées que vous aimeriez développer dans le domaine de l’architecture ?

AG : Je pense qu’il manque un outil ou une plateforme réellement collaborative à grande échelle. De nos jours, les données (numériques, historiques, climatologiques, BIM, fonds de plans, etc.) sont essentielles. Avoir accès à un espace qui regroupe tous les travaux et études réalisés pour un même site par des professionnels ou par des étudiants serait une ressource très appréciée. Nous ne devrions plus perdre de temps à refaire un travail qui a déjà été réalisé par un autre et qui se trouve certainement au fond d’un dossier, dans un disque dur rangé dans un tiroir. Les données sont certes essentielles, mais ce ne sont pas elles qui font la valeur d’un projet, c’est la manière dont elles sont utilisées. D’autres acteurs ont d’ailleurs mis en place des outils collaboratifs, je pense notamment aux développeurs web qui ont su orienter leurs pratiques avec des communautés et des banques de données « open source ». Je pense que cette démarche pourrait être transposée à l’architecture.

De manière générale, des idées et des projets innovants, il en a et il y en aura encore des milliers. La question est de savoir quelle sera la place de l’architecte dans tout cela. Restera-t-il l’utilisateur de ces nouvelles pratiques et de ces nouveaux services ? Où prendra-t-il part à ces innovations ?

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AA : Vous avez intégré la Station F début janvier 2018. Pouvez-vous partager votre regard sur le bâtiment ? 

AG : Je connaissais le bâtiment avant d’arriver, j’ai suivi son chantier pendant mes études et j’ai pu le voir évoluer. C’est une expérience agréable d’avoir le rôle de l’usager désormais. Nous sommes dans l’ancienne Halle Freyssinet, un bâtiment ferroviaire construit en 1929 et conçu par Eugène Freyssinet. De nos jours, l’intervention de l’agence Wilmotte liée à l’ambition de Xavier Niel a fait de ce lieu le plus grand incubateur de startups au monde ! Le bâtiment est divisé en trois parties. La « Zone Share », un espace où l’on peut recevoir les personnes extérieures. La partie « Create » qui accueille toutes les entreprises et la troisième partie, un restaurant avec des wagons pour rappeler la fonction initiale du bâtiment, qui est encore en travaux.

J’apprécie tout particulièrement l’idée d’une architecture qui utilise un bâtiment de 90 ans pour en faire un pôle international dédié à l’innovation tout en respectant les caractéristiques originelles de l’édifice. D’ailleurs, la première chose que l’on nous dit en arrivant à Station F, c’est de porter une attention toute particulière au béton qui se trouve être celui d’origine.

L’idée c’est aussi de pouvoir croiser un grand patron du CAC 40, un investisseur, un chercheur expérimenté ou un étudiant, et d’échanger avec eux simplement pour découvrir de nouveaux projets. Travailler au sein de ce bâtiment est source d’opportunités et d’inspiration incroyable !

AA : Comment souhaiteriez-vous, à l’avenir, allier vos différentes activités, entre architecture et entrepreneuriat ? 

AG : J’ai envie de créer plusieurs entités mais je pense que c’est la nature même de l’entrepreneur qui dicte ça. J’ai d’autres projets d’entreprises pour le futur. Ce qui est essentiel pour moi dans le fait d’entreprendre dans plusieurs domaines c’est de pouvoir « vivre plusieurs vies » en une seule. De même, j’aimerais un jour créer ma propre agence d’architecture.

Propos recueillis par Mathilde Weill et Jacob Durand le 31 janvier 2018.

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