Yu Kongjian, architecte visionnaire
Il était le visage derrière l’agence chinoise Turenscape, sur les lèvres de tous·tes quand il s’agissait de citer des solutions efficaces en matière de la résilience urbaine face au changement climatique. L’architecte, paysagiste et urbaniste Yu Kongjian est décédé brutalement ce 23 septembre 2025 au Brésil, alors qu’il assistait à la Biennale internationale d’architecture de São Paulo. Il laisse au monde l’intelligence de son principe de « Sponge City », des franges de ville baignées dans les eaux et les mangroves, pour panser l’imperméabilité des sols, leur pollution, leur réchauffement. Artiste paysager, Yu Kongjian avait su éveiller l’attention des pouvoirs publics dès le début des années 2000, ouvrant la voie à la réalisation de plusieurs centaines de projets rien qu’en Chine.

Né en 1963 dans le village de Dongyu, à Jinhua, dans la province du Zhejiang, au sein d’une famille d’agriculteurs, Yu Kongjian obtient une licence puis un master en architecture du paysage à l’Université forestière de Pékin. En 1992, il suit un doctorat à la Harvard Graduate School of Design à Cambridge aux États-Unis, où il soutient en 1995 une thèse consacrée aux schémas de sécurité écologique en Chine méridionale. Après quelques années de pratique au sein de l’agence étatsunienne SWA Group, il co-fonde, à son retour en Chine en 1997, l’Institut d’architecture paysagère ainsi que l’école d’architecture de l’Université de Pékin. « Il a consacré sa vie à promouvoir sa discipline, le paysage, et a formé bon nombre de professionnels », souligne un communiqué de la même université, au lendemain de la disparition de l’architecte.
Éditeur (il créa la revue scientifique Landscape Architecture Frontiers), universitaire (il fut l’auteur de plus de 300 articles scientifiques et d’une vingtaine d’ouvrages), Yu Kongjian a consacré sa vie la sauvegarde du paysage – « le paysage devrait être utilisé à des fins de survie », disait-il à l’American Association of Landscape Architects en 2008 – non pour le mettre sous cloche, mais pour écarter l’inutile duel « ville versus paysage » et dessiner une porosité aussi intelligente qu’attrayante. De ces recherches naît la Sponge City. En décembre 2022, L’Architecture d’Aujourd’hui consacrait un numéro aux constructions « en milieu extrême » (n° 446, décembre 2022-janvier 2023) et la rédaction n’avait pas craint d’intégrer la ville moderne et perméable à ce recueil de déserts, glaciers et toundras hostiles. Sous la plume d’Olivier Greder, architecte, Turenscape y était décrite comme une agence visant à « réformer l’approche environnementale et urbaine dans laquelle la Chine est engagée depuis une trentaine d’années et qui a généré des formes urbaines très peu résilientes face aux catastrophes naturelles, avec notamment une saturation quasi immédiate du réseau des eaux pluviales ». Dans ce contexte, l’œuvre de Yu Kongjian n’était pas qu’innovante ; elle fut, possiblement, salvatrice. « La ville-éponge répond d’abord à une logique de conservation et de survie, poursuit l’auteur. Elle est mise en œuvre pour lutter contre les inondations urbaines de surface et les problèmes connexes de gestion des eaux, tels que la purification du ruissellement urbain, l’atténuation des pics de ruissellement et la conservation de l’eau. Le système combine un ensemble de solutions dites “naturelles” telles que des surfaces absorbantes, noues, tranchées, zones humides, bassins de rétention paysagers, espaces de phytoremédiation et réseaux enterrés qui interconnectent les différentes infrastructures. »
Benjakitti Forest Park, Bangkok, Thaïlande, 42,3 hectares, livraison 2024
Sa pensée se fondait sur l’idée de schémas de sécurité écologique et d’urbanisme adaptatif. Avec sa « Révolution des grands pieds » (The Big-Foot Revolution), Yu Kongjian prônait la résilience, la fonctionnalité et la durabilité plutôt que l’ornement, définissant le paysage et la conception urbaine comme cet « art de la survie ». Au-delà des villes, Yu Kongjian avait élargi son approche avec la notion de « Planète Éponge », plaidant pour la restauration des zones humides et littoraux afin de stabiliser le cycle mondial de l’eau et d’offrir une réponse globale à la crise climatique. « Aujourd’hui, nous bandons les pieds naturels dans la ville avec des chaussures à talons hauts à la mode, et nous construisons une digue de 500 ans en béton pour entourer la ville et la maintenir à distance de l’eau. Nous construisons un système de gestion des eaux pluviales entièrement contrôlé qui ne permet pas la réinfiltration de l’eau dans l’aquifère avant qu’elle ne soit rejetée dans l’océan ; nous remplaçons les arbustes et les cultures indigènes “désordonnés” et productifs par des fleurs fantaisistes qui ne portent pas de fruits, ne soutiennent aucune autre espèce et n’ont d’autre fonction que de plaire aux êtres humains ; et nous déracinons les herbes sauvages résistantes pour les remplacer par des pelouses ornementales lisses qui consomment des tonnes d’eau. […] Le temps est venu de changer cela. »

- Sanya Mangrove Park, Hainan, Chine, 10 hectares, 2019






