Tribunes

uncube, hackée ?

Fondée en 2012, la revue d’architecture en ligne uncube cessa toute parution en 2016 – mais conserva sur la toile ses précieuses archives de critiques et d’interviews. Or, depuis septembre 2025, il semble qu’une étrange intelligence artificielle biberonnée aux dorures factices régisse le site Internet de ce qui fut pourtant une référence en matière de presse architecturale en ligne. Christophe Catsaros, critique d’architecture, revient dans un court billet sur ce revirement passé presque inaperçu – qui, pourtant, éclaire brutalement le sort des archives numériques dans la jungle d’Internet.


Christophe Catsaros

Dans l’histoire de l’édition architecturale, certains titres s’effacent plus lentement que d’autres. uncube est de ceux-là. Fondée en 2012 par une équipe d’architectes, de critiques et de théoriciens berlinois, cette revue en ligne est restée un brillant exemple de la capacité de l’édition numérique à viser la qualité, et offrir des combinaisons inédites entre photo, dessin et texte. uncube rendait possible des approches documentaires que l’édition papier ne pouvait pas espérer atteindre. Une revue en ligne, c’est comme disposer de l’archive et des extensions au sein de l’exemplaire qu’on consulte. Rapidement, le projet reçoit de nombreux prix et mentions, devenant une référence incontournable.

L’équipe éditoriale applique une approche innovante basée sur une perception étendue de l’architecture, mêlant essais et documents. 43 éditions thématiques vont être proposée sur une période de quatre ans. Malgré le succès rencontré, l’éditeur BauNetz décide de surprendre la parution en 2016. La revue uncube fait paraître un dernier numéro consacré à Athènes, au grand dam de ses lecteurs habitués à ses parutions quasi mensuelles. Toutes les propositions de la rédaction pour reprendre à son compte le projet sont rejetées.

Même après l’arrêt de la publication, l’archive d’uncube demeure accessible, s’imposant comme une référence de l’édition architecturale. Elle démontre que l’édition en ligne peut refuser de se plier au diktat de l’image instagrammable, simplement balancée sur les réseaux. Cette archive continue de proposer un espace pour l’analyse transversale, la réflexion par l’image et l’approfondissement dialectique. Tout cela tient jusqu’au jour où l’éditeur décide de descendre l’interrupteur.

En septembre 2025, le site et son archive disparaissent du Web pour être remplacés par une page promotionnelle sur l’architecture des casinos. Ce qui ressemble à une plaisanterie s’avère être une réutilisation légale du nom de domaine. Les 43 numéros d’uncube avec leurs entretiens inédits, ont tout simplement disparu pour être remplacés par une bouillie pseudo-scientifique générée par une IA. Des contributions inédites et non archivées de Zaha Hadid, Sam Jacob, Matthias Sauerbruch, Paola Antonelli, Tobias Revell, Superflux, James Bridle, Greg Lynn, Ricardo Scofidio disparaissent.

Contactée à ce sujet, Sophie Lovell qui fut la rédactrice en cheffe d’uncube ne cache pas le désarroi de l’ancienne équipe éditoriale et rappelle que supprimer une édition en ligne n’est pas la même chose que d’arrêter la parution d’une revue papier. Cela revient à arrêter la parution et aller chercher chacun des exemplaires publiés et vendus pour les mettre au feu. Ajoutez à cela la parodie de site qui s’est substituée à uncube, et vous obtiendrez un instantané de l’amnésie révisionniste érigée en signe des temps.

 


Le média en ligne de L’Architecture d’Aujourd’hui accueille les propos de toutes celles et ceux qui souhaitent s’exprimer sur l’actualité architecturale. Les tribunes publiées n’engagent que leurs auteurs et autrices.

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