Bachelot et le patrimoine, demolition party
Bernard Hasquenoph est journaliste, auteur et blogueur, fondateur du site internet Louvre pour tout·e·s sur lequel il propose une analyse de l'actualité des musées français. Spécialiste du monde muséal, mais aussi patrimonial, il revient ci-après sur les limites de la conservation du bâti, devenu intouchable et, fatalement, figé dans son temps, victime d'une « modernophobie » à questionner.
Tout bâtiment ancien mérite-t-il d’être conservé ? Non, a répondu crûment l’ex-ministre de la Culture Roselyne Bachelot dans un livre de souvenirs de son passage rue de Valois [Roselyne Bachelot, 682 jours, Plon, 2023]. Prenant l’exemple d’un type d’édifices cultuels « du XIXe siècle qui n’a pas un grand intérêt », elle réitéra ses propos à la télé (référence), s’attirant les foudres de défenseurs du patrimoine qui multiplièrent les tribunes scandalisées dans la presse tandis que « [son] cher Stéphane Bern » la gratifia, dans un article, d’un enfantin : « Elle déteste le patrimoine » (référence).
Le tort de la femme politique, sans doute, est d’avoir ciblé les églises qui, depuis des siècles, ont façonné le territoire national, sujet sensible s’il en est dans une France largement déchristianisée. Une identité forte que d’aucun voudrait croire éternelle mais qui inexorablement s’efface, fragilisant des édifices qui n’auront d’autre choix que de se reconvertir pour survivre. Pour l’heure, malgré un discours ambiant ultra alarmiste, leur « état sanitaire général [est] jugé globalement correct » selon un rapport récent du Sénat, constat assorti de multiples réserves.
Sa maladresse, peut-être, est d’avoir laissé croire que l’Etat abandonnait les églises rurales. On le lui a reproché. C’est ignorer qu’en 2018, sa prédécesseure, Françoise Nyssen, lançait, avec les régions, le Fonds incitatif et partenarial pour aider les petites communes à restaurer leurs monuments historiques. Avec succès, puisque le dispositif est reconduit depuis, profitant majoritairement aux bâtiments religieux.
La chapelle du collège Saint-Paul de Lille, de l’architecture Auguste Mourcou, détruite en 2021. Édifiée en 1876, elle n’avait pas été retenue pour être classée au titre des monuments historiques.
Pourtant, même si, connue pour sa gouaille, Roselyne Bachelot brisait un tabou, elle énonçait là une évidence qui ne devrait étonner personne. Surtout pas les spécialistes. Toute politique patrimoniale, depuis ses origines, est affaire de sélection. C’est même le fondement de la législation de protection des monuments historiques, répondant à des critères précis, sur avis d’experts. Plus de 45 000 immeubles, dont un tiers d’édifices religieux, sont à ce jour protégés, augmentés chaque année de centaines de nouveaux, à la typologie toujours plus large. Un puits sans fond au budget déjà notoirement insuffisant, d’autant que l’ex-ministre alerte sur la « grande fragilité » structurelle d’édifices relativement récents, tels le Grand Palais ou le Centre Pompidou, ruineux à rénover.
Pour le bâti ancien non protégé – c’est de cela dont parlait l’ex-ministre -, il est sous la responsabilité des collectivités territoriales ou de propriétaires privés qui peuvent se voir aidés par les départements et les régions (grâce à un budget transféré en 2004 par l’Etat), par des fondations et des dispositifs innovants comme le Loto du patrimoine, forme de mécénat populaire, qui ne « sauve » pas le patrimoine en péril comme on le lit souvent, mais – et c’est déjà beaucoup – vient en soutien à des projets déjà en partie financés. Ce qui ne doit pas masquer les multiples associations qui œuvrent aussi dans ce domaine, loin de toute médiatisation et sans pouvoir générer le même effet d’entraînement. Mais là aussi, il faut bien opérer des choix. Personne n’appelle à tout raser mais, en dehors même de la question incontournable des moyens, pourquoi faudrait-il tout garder ? L’ancienneté, que ce soit d’un édifice civil ou même religieux, est-elle un gage suffisant d’intérêt ? C’est un malentendu, le signe d’une confusion. Aimer le patrimoine, ce n’est pas vénérer le passé aveuglement.
Même si la réhabilitation est préférable d’un point de vue écologique, ce qui constitue désormais une tendance lourde, démolir, ou déconstruire quand il s’agit de prélever des éléments remarquables, n’est pas un gros mot et reste parfois un meilleur choix. La destruction participe à la régénération architecturale, et c’est par des constructions d’aujourd’hui que le patrimoine de demain s’écrit. Même les architectes des bâtiments de France donnent leur accord pour des démolitions dans des zones protégées ou émettent un avis défavorable à la protection d’un bâtiment. Sont-ils pour autant des ennemis du patrimoine ?
Si, en donnant l’alerte, certaines mobilisations de sauvegarde sont utiles, d’autres laissent perplexes, sommant « l’Etat d’intervenir sur des bâtiments parfois d’intérêt médiocre », dixit l’ex-ministre. Menacées de destruction, une simple maison devient manoir, une banale chapelle dont personne n’a jamais entendu parler, un joyau remarquable, l’insipidité de leur style compensée par des raisons plus ou moins convaincantes. Incriminant toutes les autorités qu’ils pourchassent jusque sur les réseaux sociaux, persuadés de poursuivre la « guerre aux démolisseurs » proclamée par un Victor Hugo qu’ils convoquent à tout-va quand nulle législation protectrice n’existait alors, ses instigateurs semblent plus motivés par une aversion, si ce n’est le rejet de toute évolution. Un signe ne trompe pas : la modernophobie qui transpire des commentaires accompagnant les programmes de substitution : « Si c’est pour faire ça », « C’est moche », etc. Comme si l’ancien était synonyme de beau et le moderne de laid. L’architecture, cet art majeur, se retrouve réduit à de la « bétonisation », qualificatif supposé infamant.
Une attitude répulsive pas vraiment nouvelle mais qui trouve un écho aujourd’hui auprès des franges les plus réactionnaires de la société. À fétichiser ainsi l’avant, à crier à tout-va au vandalisme, à mener le procès permanent en incompétence de l’Etat et de ses serviteurs à tous niveaux, pas étonnant dès lors, qu’à chaque polémique, ces défenseurs radicaux du patrimoine qui se disent apolitiques, soient contraints de partager le terrain, de gré ou de force, avec toute une mouvance identitaire, nationaliste et conspirationniste, convaincue que la France est la victime, en pierre et en esprit, d’une gigantesque « demolition party ».
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Mouais, une énième preuve que l’equipe projet n’a pas compris le problème.
Ce projet comporte avant tout un probleme de programmation et est dans la veine de la catastrophe déjà réalisée avec le bunker de verre qui a privatisé le site pour de mauvaises raisons (sécurité blablabla bullshit).
Après, cette agence s’inscrit dans la continuité de ce que nous voyons partout: des architectes à côté de leur pompes incapables de concevoir des bâtiments compatibles avec le XXIeme siècle. Entre les vieux schnoks qui sont encore legions et les petits ideologues qui font semblant de prendre en compte les contraintes pour finalement refourguer leurs mêmes idées de gestes semi-habiles dans l’espoir de faire la une de je ne sais quelle revue…
Cette profession coule et il n’y a d’autre coupable à chercher que les architectes eux-mêmes.