Tribunes

Recherche architecte junior, 3 ans d’expérience minimum

En partenariat avec L’Architecture d’Aujourd’hui, l’Union nationale des étudiants en architecture et paysage (UNEAP) prend la plume et propose, en dix articles, d’explorer les enjeux contemporains auxquels sont confrontés les étudiants en architecture et paysage.

Qu’attendent les écoles d’un.e étudiant.e pour lui délivrer le diplôme ? Qu’attendent les professionnels d’un.e jeune diplômé.e pour l’embaucher ? C’est cet écart entre formation et profession qui retient toute notre attention dans ce troisième épisode de la série des Carnets de l’UNEAP.

Après cinq années d’études en école d’architecture et paysage, intégrer le marché du travail reste souvent difficile. 25 % des jeunes diplômés sont embauchés sans délai après l’obtention de leur diplôme, et 74% accèdent à leur premier emploi en moins de 6 mois, des chiffres qui laissent à penser que l’insertion professionnelle des jeunes diplômés n’a rien d’inquiétant. Cependant, l’étude ne prend pas en compte la corrélation entre l’emploi obtenu et les attentes initiales des jeunes. *

L’un des premiers obstacles auxquels sont confrontés les jeunes diplômé.es est la faible proportion d’offres d’emploi leur étant destinées. Qu’elles soient publiées sur le site de l’Ordre des Architectes ou les nouvelles plateformes de recrutement telles que Facebook ou LinkedIn, les annonces laissent à penser que les agences cherchent à recruter des profils opérationnels ayant une connaissance de la réalité du chantier et des techniques de construction, et étant efficaces dans toutes les phases de production. À la sortie de l’école les jeunes diplômé.es se retrouvent confronté.es à leur manque d’expérience. Les agences d’architecture recherchent majoritairement des profils ayant une première expérience pratique, afin d’économiser du temps dans la formation de ces jeunes professionnels.

Il semblerait alors qu’aux yeux d’une agence, un jeune diplômé peu expérimenté est bon pour être stagiaire. 

Les vices des agences dans le recrutement de stagiaires sont nombreux : renforcement d’équipe, maîtrise de certains logiciels, savoir-faire et savoir-être exigés, expérience minimale requise, adressées à des étudiants de master, sans gratification… Au-delà d’être éminemment problématiques, les offres de stage abusives qui considèrent les stagiaires comme une main d’œuvre bon marché posent problème aux jeunes diplômés cherchant à s’insérer puisqu’il s’agit de postes et missions qui devraient leur être proposés. De plus, pour décrocher un emploi aujourd’hui il est préférable de pouvoir justifier d’une certaine expérience… Où acquérir une telle expérience, si ce n’est en agence ? 

Organisation d’événements, workshops, missions via les associations Junior Architecte, participation à des concours, stages, auto-entreprenariat, engagement associatif ou représentation étudiante… Nombreuses sont les activités réalisées par les étudiants pour gagner en expérience et avoir un complément à leur formation d’architecte. Les compétences acquises dans un cadre extra-scolaire sont-elles suffisamment valorisées ?Les agences considèrent-elles ces acquis comme légitimes à alimenter la pratique ?

De plus, la taille et le modèle des agences fait considérablement varier les attentes de ces dernières vis-à-vis d’un.e jeune diplômé.e. De la conception au suivi de chantier, en passant par le dessin de plans, les tâches qui leur sont confiées sont multiples. Pourtant, seule une partie d’entre elles est enseignée à l’école. L’apprentissage pour les jeunes diplômé.es se poursuit donc sur le terrain. La formation en architecture doit alors préparer l’architecte à la gestion de projets divers, au développement d’un esprit critique, et plus largement à l’exercice de son rôle dans la société. 

Cependant, les professionnels ont des attentes que les écoles semblent ignorer. Alors, qui est en mesure d’assurer l’intermédiaire entre les attentes des professionnels et l’enseignement de l’architecture en France, et qu’attendent les étudiant.es des entités décisionnelles ?

D’une part dans les écoles, au sein desquelles les enseignant.es jouent un rôle majeur dans la définition du projet pédagogique de l’établissement. Elles possèdent une totale autonomie pédagogique, ce qui leur permet d’adopter une orientation particulière, souvent en lien avec leur histoire, leur territoire, leur vision ou celle de leurs enseignant.es. Les enseignant.es incarnent ainsi le premier relais entre la profession, la recherche et les étudiants. 

D’autre part le Ministère de la Culture, dont le rôle est d’assurer la tutelle des ENSA. Il se doit d’être en mesure d’orienter les établissements et de les accompagner dans la mise en œuvre de recommandations mais également d’obligations. Aujourd’hui, on attend du Ministère qu’il soit plus au courant de la réalité des études d’architecture, pour que ces recommandations et obligations puissent être plus adaptées.

En ce qui concerne le Conseil National de l’Ordre des Architectes (CNOA), il doit être un interlocuteur privilégié des écoles afin de leur faire connaître les attentes des professionnels, faciliter l’insertion professionnelle des jeunes diplômés et assurer par la suite leur formation continue. Force est de constater qu’il existe aujourd’hui une distance majeure entre les étudiants et la profession, l’implication du CNOA dans la formation des professionnels de demain, que sont les étudiants d’aujourd’hui, étant invisible voire inexistante. 

© Dylan Gillis / Unsplash

Recherche architecte junior 3 ans d’expérience minimum

L’absurdité de demander à un.e architecte junior des compétences équivalentes à 3 ans d’expérience résulte d’un décalage entre l’enseignement et la pratique de l’architecture. Si les écoles n’ont pas vocation à être totalement professionnalisantes, elles gagneraient à faire un pas vers le monde professionnel pour renforcer le lien entre la profession et les étudiant.es, afin de mieux préparer les futur.es diplômé.es à répondre aux attentes des employeurs mais aussi mieux préparer les agences d’architecture à accueillir un.e jeune diplômé.e avec des attentes adaptées. 

Toutefois, la question de la responsabilité face à ce clivage dépasse celle du désaccord entre le programme des écoles et les demandes des agences. En effet, d’autres acteurs possèdent une part de responsabilité, comme le Ministère de la Culture et le CNOA, qui n’est pas assurée comme elle le devrait. 

On compte alors sur la capacité d’adaptation des jeunes architectes, comme toujours. Mais est-il juste d’imposer cela à des jeunes diplômé.es, après cinq ans ou plus d’études qui ont déjà leur lot de complications ?

Sans demander une totale réforme de l’enseignement de l’architecture, il semble nécessaire d’y développer une dimension plus professionnalisante, au moins en master, pour préparer les futur.es diplômé.es à entrer dans le monde du travail. Cela peut passer par l’intégration du stage dans le cursus permettant la réalisation d’un stage long, tout comme des cours optionnels de management, de gestion d’entreprise, de droit… mais face au manque de soutien et d’accompagnement par les professionnels et leurs représentants, comment les jeunes architectes peuvent-ils se préparer au mieux à intégrer le monde professionnel ? 

Lise Le Bouille, présidente de l’UNEAP

*Enquête Archigraphie 2020 auprès des architectes, étude démographique et économique menée par le CNOA, p.64.

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