© Moiz K. Malik on Unsplash
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Contre la marchandisation de l’espace public

Le projet de transformation de la Gare du Nord, intitulé « StatioNord », initié en 2016 et dirigé par l'agence Valode & Pistre, n'a pas fini de faire parler de lui. Suite à l’accord conclu le 23 novembre dernier entre la SA Gare du Nord, la SNCF, la Ville de Paris et SNCF Gare & Connexions, un permis de construire modificatif a été déposé auprès du préfet d’Ile-de-France le 4 janvier. Malgré cela, les voix continuent de s'élever contre l'insertion des surfaces commerciales prévues — c'est le cas de l'Académie des beaux-arts, qui considère que ces dernières « sont susceptibles de dénaturer l’architecture des lieux et de nuire au service rendu aux usagers ». Tribune.

La marchandisation de l’espace public en question
Le cas de la Gare du Nord

Après en avoir délibéré en séance plénière sur la proposition de sa section d’architecture, l’Académie des beaux-arts souhaite exprimer publiquement son sentiment sur le projet de rénovation de la gare du Nord, œuvre de l’architecte Jacques Ignace Hittorff, et l’intégration prévue d’un vaste espace commercial.

Un accord semble avoir été trouvé entre la Ville de Paris et le groupe Auchan pour la rénovation de la gare du Nord qui prend la forme d’une concession à l’opérateur privé et la réalisation d’un important centre commercial. Des réticences, voire des oppositions, persistent cependant face à ce qu’il convient d’appeler dans ce cas la « marchandisation de l’espace public ».

Il est certes légitime et normal qu’un bâtiment se transforme, lorsque la fonction initiale pour laquelle il a été conçu et réalisé évolue. Mais lorsque cette fonction initiale perdure et se développe, comme c’est le cas de la gare du Nord et des principales gares françaises, la question se pose de savoir si l’intégration d’une fonction nouvelle au sein d’un bâtiment public n’affecte pas son organisation originelle et, surtout, ne dénature pas le caractère architectural de ce bâtiment. Quoiqu’il en soit, la coexistence en ce même lieu de deux fonctions urbaines majeures a pour conséquence de transformer l’espace contraint à les accueillir en un espace « hybride ».

La réponse généralement avancée pour justifier la réalisation de surfaces commerciales dans les lieux affectés à l’accueil et au transport des voyageurs est qu’elle répond à une demande du public. Il reste néanmoins à prouver que cette offre commerciale nouvelle n’excède pas les attentes et les besoins réels de ce public.

Il est surtout évident que c’est précisément la présence en ces lieux de la concentration d’une clientèle potentielle et captive qui attire les investisseurs privés et qui conduit à cette marchandisation.

Il en résulte une saturation de l’espace originel, un allongement des circuits et des parcours initialement conçus pour répondre d‘abord aux besoins des voyageurs et, par voie de conséquence, à une dégradation du service attendu par ceux-ci. Ainsi par exemple, les salles d’attente qui offraient aux voyageurs un certain répit et un temps de repos sont pour la plupart supprimées ou fortement réduites, au profit de surfaces commerciales et de leurs pressantes sollicitations. Seuls quelques clubs privés réservés à des voyageurs « privilégiés » subsistent encore dans nos gares.

La course à l’implantation d’espaces commerciaux en centre-ville, partout où le public converge en masse, conduit à une concurrence entre investisseurs privés. Ceux-ci sont ainsi conduits à offrir des charges foncières supérieures à celles de leurs concurrents pour remporter l’appel d’offres au travers de surfaces commerciales considérables dont l’importance et la nature résulte essentiellement de considérations financières et comptables. Au détriment de la fonctionnalité et de l’architecture de ces gares dont la construction a été une épopée au XIXe siècle. Ces gares, alors temples de la modernité, étaient des symboles très puissants de la République, aujourd’hui monuments en voie de dégradation.

Les qualités architecturales voulues en leur temps par les pouvoirs publics et les concepteurs – solennité et monumentalité du bâtiment, impressionnante ampleur des voutes, unité de la décoration intérieure -sont dénaturées par l’accumulation de volumes nouveaux, la multiplication de couleurs et d’enseignes étrangères à l’architecture d’origine.

La France dispose d’un patrimoine exceptionnel que les villes et la puissance publique peinent à entretenir aujourd’hui faute de moyens. Face à ce besoin, les investisseurs privés sont sollicités, ce qui tend à gommer la frontière entre privé et public. Faut-il s’habituer à cette union ? Il faut au moins avoir conscience de ses conséquences et dans le cas de la marchandisation des gares, surmonter l’impossibilité d’en financer la restauration par des fonds publics et engager une réflexion globale concernant de tels projets.


L'Académie des beaux-arts, janvier 2021
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