Arc en rêve Papers

Tour de savoirs

Jusqu'au 12 février 2023, arc en rêve présente à Bordeaux « Salle de classe, architecture de l'adolescence », une exposition consacrée à la classe comme support d'apprentissage et de socialité adolescente. Quel est le lien entre l’éducation secondaire et le monde du travail et dans quelle mesure une cuisine professionnelle peut-elle être appréhendée comme une salle de classe conventionnelle ? 

Dans le cadre de la série arc en rêve papers, les suppléments du centre d’architecture de Bordeaux diffusés en partenariat avec L’Architecture d’Aujourd’hui, après les Sud-africains Ilze et Heinrich Wolff et l’Allemand Hermann Kaufmann, le commissaire Joaquim Moreno et Leonardo Lella, chargé d’exposition au centre d’architecture arc en rêve, s’entretiennent avec l’architecte belge Xaveer De Geyter. Ensemble, ils évoquent notamment le projet Elishout Kitchen Tower à Anderlecht, en Belgique, une tour comprenant des classes de cuisine rattachée à un campus d’enseignement supérieur pour les métiers de l’industrie hôtelière.

ELISHOUT KITCHEN TOWER, ANDERLECHT

© Frans Parthesius

Joaquim Moreno : Nous avons commencé cette recherche en essayant d’aborder la question de l’adolescence. Les adolescents ont acquis beaucoup d’autonomie pendant la pandémie : ils ont appris à étudier à la maison, à travailler en réseau, ils se sont transformés. Mais après les confinements, ils sont revenus à leurs salles de classe conventionnelles et rigides. C’est pourquoi nous avons décidé de nous intéresser en priorité, non pas aux écoles primaires et aux universités, mais aux lycées et surtout aux salles de classe…

Xaveer De Geyter : Nous avons conçu beaucoup d’écoles ces dernières années, au moins dix, mais elles n’ont pas toutes été construites. Je dirais que chaque école est assez différente, mais en général, ce qui change peu est précisément la salle de classe. Même si l’usage d’une salle de classe peut varier en fonction de l’âge des élèves, la configuration traditionnelle avec l’enseignant face aux élèves assis en rangées de tables, a toujours sa place dans nos projets. La salle de classe reste essentiellement un espace rectangulaire ; la lumière du jour entre de préférence par la gauche, l’enseignant est debout à côté d’un tableau ; et, généralement, l’espace est légèrement plus petit en façade qu’en profondeur, bien qu’il existe également un modèle alternatif, d’une surface similaire, de salle de classe en forme de L. Lorsqu’on combine les deux formes en L dans une sorte de U avec un mur au milieu, on obtient un couloir avec des niches, qui sont très pratiques pour les activités en extérieur. À l’agence, nous avons remarqué que la plupart des écoles aspirent à l’un de ces deux modèles.

Par exemple, à l’école Melopee que nous avons achevée il y a deux ans à Gand, les salles de classe ont une forme relativement classique ; en revanche, l’usage qui est fait de la cour de récréation est assez innovant. Le projet apporte une réponse au problème auxquels sont aujourd’hui confrontés de nombreux politiques ou directeurs d’école, qui manquent très souvent d’espace pour agrandir leur école. En général, ce sont les cours de récréation qui occupent le plus de place. Dans ce cas précis, chaque école – une crèche, une maternelle, une école élémentaire et un centre sportif – avait besoin d’espaces extérieurs spécifiques. Comme nous n’avions tout simplement pas assez de surface pour toutes ces installations, on nous a autorisés à les empiler les unes au-dessus des autres et à créer un espace extérieur très théâtral qui donne sur la ville de Gand.

Leonardo Lella : N’est-ce pas ce que vous aviez également fait pour la « tour de cuisine » Elishout à Anderlecht ?

XDG : Tout à fait. Là encore, les raisons de concevoir une tour n’ont rien à voir avec les salles de classe. C’est même le contraire, je dirais : la forme des salles de classe résulte du choix de conception d’une tour. Si nous avons choisi cette typologie, c’est parce que le bâtiment fait partie d’une école hôtelière proche du modèle du campus qui, selon une tradition typiquement belge, est divisée en une partie francophone et une partie néerlandophone. Le campus qui date des années 1960 est un beau campus traditionnel moderniste, mais sa surface limitée ne permettait pas d’extensions. La première raison qui nous a poussé à concevoir une tour était la volonté de réorganiser la disposition du campus, en créant un point de convergence nouveau. La deuxième était de toucher le moins possible au terrain, afin de préserver de la surface pour des extensions futures. Enfin, le campus se trouve sur un terrain qui, dans les années 1960, se trouvait à la périphérie de Bruxelles, mais qui est aujourd’hui entouré de zones résidentielles peu denses et traversé par le périphérique qui fait le tour de la ville. Nous avons pensé qu’il était nécessaire de rendre le campus visible depuis la rocade. Comme n’importe quelle autre entreprise commerciale le ferait avec son enseigne.

JM : Dans l’exposition « Salle de classe, architecture de l’adolescence », nous avons choisi de présenter la Kitchen Tower de l’école Elishout dans le chapitre « Profession ». Les écoles professionnelles sont bien sûr un cas à part : à côté de salles de classe classiques, elles disposent généralement d’ateliers de mécanique et de menuiserie, et, aujourd’hui, de nouveaux espaces dédiés au commerce numérique, à l’impression 3D, etc.
Dans la tour de cuisine, par exemple, il n’y a pas de salles de classe mais seulement des cuisines et un restaurant au dernier étage. Pensez-vous que ces espaces peuvent encore être considérés comme des salles de classe ?

XDG : Oui, je le pense vraiment ! Chaque étage est un espace d’apprentissage, doté d’équipements de cuisine en acier inoxydable. Les examens se déroulent aux derniers étages dans le restaurant, où les plats peuvent être testés. L’école accueille deux types d’étudiants : les adolescents qui apprennent la cuisine, mais aussi des personnes plus âgées qui veulent réorienter leur vie professionnelle en prenant des cours de cuisine le soir. La salle de classe traditionnelle, telle que je l’ai décrite précédemment, est dans ce cas tout à fait exceptionnelle, simplement en raison de la typologie de la tour qui est enveloppée par quatre façades de verre sans protection solaire. Cette configuration offre des vues splendides sur la ville ainsi que sur le périphérique.

© Frans Parthesius
© Xaveer De Geyter

LL : Vous avez mentionné l’aménagement des « salles de classe de cuisine ». Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur la manière dont l’espace est organisé et dont les cours se déroulent ?

XDG : Chaque salle de classe est équipée d’une grande table prévue pour quinze élèves et d’un matériel de cuisine professionnel, digne de tout bon restaurant. Les enseignants commencent généralement le cours en tête de table, entouré des élèves. Après les explications, les élèves se mettent à cuisiner, tandis que l’enseignant se déplace d’un poste de travail à un autre.

LL : Comment avez-vous déterminé l’emplacement des différentes fonctions à l’intérieur de la tour ?

XDG : Le bâtiment fonctionne à l’inverse d’une tour traditionnelle avec les services de base au centre et la surface utilisable autour. La tour que nous avons conçue ne comporte qu’une seule pièce par étage mais qui nécessite tout de même deux sorties de secours et plusieurs ascenseurs (ils y font monter des classes entières d’étudiants !). Nous avons aménagé toutes les fonctions que l’on trouve généralement au centre dans les parties latérales du bâtiment. Avec leurs façades en verre, les salles de classe sont aussi élémentaires que possible. Si nous n’avons pas utilisé de protection solaire, c’est pour une raison très simple : étant donné que les espaces sont des cuisines professionnelles, chaque pièce est équipée d’une énorme installation mécanique pour rafraîchir l’air. Ce type de système peut rafraîchir une pièce en moins de dix minutes. Donc, en été, il n’est pas nécessaire de protéger les façades vitrées car les feux de cuisson réchauffent l’espace bien plus que le soleil.

LL : Et concernant les équipements techniques ?

XDG : Nous avons simplement pris le service de base traditionnel et en avons créé cinq ou six autour de l’espace central. Les trois petites gaines de ventilation sont orientées vers le périphérique, à côté d’un monte-charge. Le mouvement vertical des personnes se fait entre ces puits, dans des ascenseurs en verre. Pour que les conduits ne soient pas trop grands, nous avons placé un étage technique au milieu de la tour, réduisant ainsi les distances et donc la taille des conduits. Deux escaliers de secours ont été placés le long de deux autres façades. Ce système nous a permis de ne pas utiliser d’élément structurel supplémentaire, nous avons juste ajouté une poutre tout autour qui fait le lien entre les centres d’activité.

© Frans Parthesius ; Xaveer de Geyter

JM : J’associe toujours votre projet aux Richards Medical Research Laboratories de Louis Kahn à Philadelphie (1965), avec les services techniques à l’extérieur et les angles en porte-à-faux…

XDG : Je dirais que la grande différence avec ce bâtiment ou avec tous les architectes high-tech comme Renzo Piano ou Richard Rogers, c’est que nous avons fait le choix de dissimuler tout ce qui est technique en l’intégrant dans le bâtiment. Mais c’est une question de style, je suppose.

JM : Une autre référence me vient, celle du traveling vertical dans le film de Peter Greenaway, Le Cuisinier, le voleur, sa femme et son amant. J’étais dans la tour il y a quelques mois et j’ai remarqué que la vue sur le périphérique est obstruée par les ascenseurs…

XDG : Pas vraiment. À travers les façades nord et sud, on voit clairement la rocade. De plus, il y a des vues encadrées sur l’autoroute entre les quatre petits noyaux, ainsi que dans les ascenseurs qui sont transparents.

JM : C’est logique, car la façade qui donne sur l’autoroute est celle que l’on ne peut pas voir lorsqu’on est en voiture. On voit les autres quand on s’approche du bâtiment par le nord ou le sud. C’est très mis en scène, en un sens…

LL : Le fait de placer tous les espaces de service verticaux sur les côtés du bâtiment permet une flexibilité totale des espaces. Pensez-vous qu’ils puissent un jour avoir une autre fonction ?

XDG : En réalité, on ne nous a jamais demandé de concevoir des espaces flexibles. On nous a simplement demandé de livrer un nombre défini de salles de classe de cuisine. Je ne pense pas, par exemple, que les changements de cuisine, disons d’une cuisine traditionnelle à une cuisine végétalienne ou autre, auraient un grand impact en termes d’espace ou d’équipement.

JM : C’est un projet très clair en termes d’organisation. Tant en section qu’en plan. Il semble très performant.

XDG : C’était assez osé, finalement. En principe, on ne nous avait pas autorisé à monter aussi haut. Il y avait aussi une grande différence de coût par rapport à un bâtiment de cuisine ordinaire. Si vous comparez le prix d’une fenêtre en verre à celui de quatre façades en verre, vous comprendrez que nous sommes allés assez loin. Cependant les commanditaires étaient prêts à ce surcoût, ne serait-ce que pour une question de représentation. Lorsqu’ils accueillent des invités de l’extérieur, ils sont évidemment très fiers de la vue incroyable qu’il y a depuis l’espace du restaurant.


Exposition « Salle de classe, architecture de l’adolescence »
arc en rêve centre d’architecture, Bordeaux
Jusqu'au 12 février 2023

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