école Union Altosanibeni, 2019, Taquin, Peru ©Eleazar Cuadros

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Semillas : architecture associative

Depuis 2014, Semillas construit pour les autres. Menée par l’architecte Marta Maccaglia, l’association basée à Pangoa, au nord du Pérou, a livré, rien qu’en 2019, une résidence étudiante, un centre communautaire de 230 m2 et une école maternelle et primaire de 1 200 m2, le tout en zone rurale. L’architecte a justement choisi le modèle de l’association plutôt que celui de l’agence pour mieux répondre aux besoins des populations avec lesquelles elle travaille. Pas par charité, précise-t-elle, mais pour faire la meilleure architecture qui soit.
Marta Maccaglia ©Eleazar Cuadros

L’Architecture d’Aujourd’hui : Comment définiriez-vous Semillas ?

Marta Maccaglia : Semillas est Amazonienne d’âme et de cœur, bien qu’elle ait été fondée par l’Italienne que je suis – et bien qu’elle soit soutenue par des volontaires dont la plupart sont de nationalité italienne. L’association est née en 2014 à Pangoa, ville péruvienne entourée par la jungle. Avant Semillas, je travaillais déjà au Pérou depuis 2011, sur des projets liés à l’architecture et à la coopération internationale. En fin de compte, j’ai vécu 6 ans au cœur de la jungle qui occupe la région centrale du Pérou et, en 2014, j’ai donc fondé Semillas – un projet de vie, de transformation et d’apprentissage permanent. Nous avons aujourd’hui un bureau à Lima, un autre à Pangoa, dans la jungle centrale, et un troisième à San Ignacio, dans le nord du pays.

Vous avez choisi de fonctionner sous un statut d’association. Pourquoi cette décision ?

Nous sommes très attachés à l’architecture, mais notre intérêt va bien au-delà. Nous nous intéressons en effet à l’ensemble du processus et aux effets de l’architecture sur la vie des gens. Nous avons opté pour un statut associatif afin de pouvoir accéder à certains financements. Je suis convaincue que l’identité fondamentale d’une pratique n’est pas déterminée par son statut – agence d’architecture, entreprise commerciale ou ONG. Je pense en revanche que ce qui la caractérise in fine, c’est son mode de fonctionnement, ses valeurs, le chemin qu’elle choisit d’emprunter pour concrétiser ses projets. Si je devais préciser ce qui nous différencie des autres acteurs je dirais que, de façon générale, les agences d’architecture se focalisent sur la conception des bâtiments tandis que les ONG, qui accompagnent des projets d’infrastructure, s’intéressent à leur impact social et sociétal (avec une vision essentiellement quantitative). Chez Semillas, notre engagement se fait sur les deux fronts, à travers l’architecture, le partage des processus et les impacts sociétaux.

Nous avons constaté en outre que, la plupart du temps, ONG et pouvoirs publics, même animés des meilleures intentions, interviennent trop souvent sans avoir acquis une bonne connaissance des réalités locales, et proposent des projets top-down qui parfois (pour ne pas dire toujours) finissent par se transformer en « éléphants blancs » ou engendrent la corruption. C’est la raison pour laquelle nous pensons qu’il est nécessaire d’être présents sur le terrain, d’écouter les populations concernées, de créer une relation et des liens avec les riverains et les politiques locales, d’accompagner les processus « d’auto-génération sociale », et d’adopter une approche qui parte de la base plutôt que du sommet. 

Quels sont pour vous les principaux avantages et inconvénients de cette « étiquette » associative ?

La plus grande difficulté est d’accéder à la pérennité économique. Au Pérou, les associations à but non lucratif comme la nôtre ne reçoivent aucun soutien public, et les fonds que nous percevons sont exclusivement destinés au financement des projets. Pour nous, la principale contrainte est donc d’assurer la continuité de nos équipes et de faire en sorte qu’elles puissent se consacrer à 100% à l’association. Cela ne veut pas dire pour autant que cette stabilité soit hors d’atteinte. Un pas après l’autre, nous avançons le long de cette courbe d’apprentissage et d’amélioration de notre modèle. Le principal avantage du statut associatif, c’est de pouvoir fonctionner sur des projets indépendants, avec davantage de liberté d’action, pour produire des architectures durables, participatives et contextualisées – ce qui serait impossible par exemple dans le secteur public, en raison des obstacles bureaucratiques, réglementaires et logistiques.

Casa grande Otica, 2019, Río Tambo, Peru © Eleazar Cuadros

Pourriez-vous nous en dire davantage sur votre business model ?

Son maître mot est la « coopération ». Les acteurs qui composent cette chaîne de coopération sont des institutions publiques nationales, notamment les ministères, municipalités, associations autochtones, organismes de préservation de l’environnement, mais aussi des entreprises privées ou des institutions internationales, parmi lesquelles des institutions de financement au développement ou encore des universités, des ONG et des fondations. Dans ces mécanismes de collaboration, notre rôle est d’accompagner les communautés locales dans leurs stratégies de gestion et de viabilisation économique, de mettre en relation les parties prenantes et de définir des objectifs communs. Ce modèle privilégie un travail collaboratif où chaque institution apporte sa contribution dans le domaine d’expertise qui est le sien, dans le respect de l’habitat et de la « voix » des différentes les communautés concernées. Nous accédons aux financements en postulant pour l’attribution de subventions auprès d’entités publiques ou privées. Nos coûts de construction au mètre carré peuvent parfois être de 130 à 190 dollars seulement

Pour notre projet d’école élémentaire à Jerusalen de Miñaro, conçu en 2016-2017, après un processus de recherche et d’identification de la communauté, et aux côtés l’association à but non lucratif Volcafé Speciality Peru (VSP) Generation, nous avons conjointement postulé pour l’obtention d’une bourse auprès de la Costa Foundation. Nous avons ainsi pu construire 1 000 m2 de nouvelles surfaces et réhabiliter 269 m2 de bâtiments existants, pour un coût total de 241 000 dollars. Pendant les phases participatives de « diagnostic rural » et de conception architecturale, grâce à différents ateliers réunissant la communauté et les autorités locales, nous avons pu identifier et comprendre les besoins, reconnaître les alliés potentiels, et rédiger des accords et des engagements pour la construction de l’école. 

Dans le district de Pangoa, nos principaux alliés sont : les autorités municipales, pour assurer l’entretien des routes et permettre le transport des matériaux ; le regroupement de communautés autochtones KANUJA (Unión Indígena Asháninka Nomatsiguenga del Valle Pangoa), garante des droits de la communauté ; le SERFOR (Servicio Nacional Forestal y de Fauna Silvestre) qui veille sur la gestion et l’utilisation des ressources forestières, dont le bois, et nous guide sur ces sujets ; le ministère de l’Éducation, qui nous accompagne pour la gestion, la supervision et l’entretien de l’infrastructure une fois terminée. Pendant la phase de réalisation du bâtiment, l’entreprise locale de construction et le charpentier encadrent la formation des ouvriers, ce qui crée à proximité des emplois et des compétences. Ainsi, nous poursuivons tous un même objectif.

Notre travail ne relève pas de l’aide sociale ni d’une quelconque charité : c’est un acte architectural.

école Union Altosanibeni, 2019, Taquin, Peru ©Eleazar Cuadros

Chacun de vos projets est entrepris en appliquant ce modèle participatif. Comment décririez-vous votre méthode ?

Le travail que nous réalisons tous ensemble est par nature complexe, parce que nous abordons la production sociétale d’un habitat dans toutes ses dimensions – « production sociétale » étant entendue ici au sens de « méthodes autogérées de production collective », et l’habitat étant défini comme « l’endroit où l’on vit », c’est-à-dire non seulement le logement, mais aussi l’environnement, le voisinage, la ville, les espaces communs et, pour finir, l’école. 

C’est pourquoi nous engageons, à travers la méthode participative, des processus centrés sur l’humain, en accompagnement de mécanismes de gestion autonomes et autosuffisants, qui sont à notre avis la seule façon d’autonomiser les acteurs concernés – et l’un des principaux moyens de peser politiquement. Les ateliers participatifs, outre qu’ils nous permettent de découvrir en profondeur la communauté et son contexte, sont aussi le lieu d’un partage des connaissances. La dimension participative ne se traduit pas par l’invitation des habitants à des réunions d’information unilatérales, pas plus qu’elle ne se réduit à leur permettre d’exprimer leur avis. Elle exige de l’écoute et l’installation d’un espace de débat et de réflexion permettant d’échanger sur les besoins, les problèmes, les objectifs et les rêves – un moment où chacun est pleinement un « participant ».

Pour aller plus loin dans la méthodologie et la réflexion autour de la notion de participation, nous sommes convaincus qu’elle est nécessaire à toutes les étapes du processus. Nous ne travaillons pas « pour » ni « par » la communauté, mais avec elle, à ses côtés. Notre travail ne relève pas de l’aide sociale ni d’une quelconque charité : il est un acte architectural, qui aspire à remédier aux inégalités par le biais de processus participatifs, en mettant au centre du débat le contexte particulier du Pérou et l’importance, dans ce pays, de doter l’ensemble des territoires d’infrastructures éducatives de qualité. 

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Propos recueillis par Anastasia de Villepin
Pour en savoir plus, visitez le site de l'association : www.semillasperu.com

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