Inclassable

« Réinventer », le Quid de Philippe Trétiack

© Astrid di Crollalanza
© Astrid di Crollalanza

Architecte et urbaniste de formation, Philippe Trétiack est journaliste et écrivain. Grand reporter depuis trente ans, il collabore avec plusieurs magazines, dont Vanity Fair, ELLE Décoration, Air France Magazine… Auteur, il a publié une vingtaine d’ouvrages dont  Faut-il pendre les architectes ? (Seuil, 2001), De notre envoyé spécial (Editions de l’Olivier, 2015), et L’Architecture à toute vitesse (Seuil, 2016). Dans les pages de L’Architecture d’Aujourd’hui, Philippe Trétiack décrypte avec humour le jargon de l’architecture dans la rubrique Quid ? Pour le N°426, il s’attaque au verbe « réinventer ».

Ces derniers temps, ça réinvente à tout va. Réinventer Paris, “Reinventing” par-ci, Réinventer la Seine par-là… Rien ne semble échapper à ce mouvement de recréation exacerbée, la ville méditerranéenne, le plan de métro, la citoyenneté et même, je l’ai lu, la critique littéraire, preuve que l’épidémie, loin d’être cantonnée à l’emporium urbain, déborde et englue les disciplines les plus frivoles. Or, justement, s’il est un monde où ça réinvente tous les six mois, c’est bien celui de la mode, univers d’excitation fébrile où piller le travail de son voisin est une démarche qui fait autorité. Que la ville devienne un objet de mode, voilà qui ne nous surprendra guère. Tout élu qui se respecte rêve d’accrocher au porte-manteau de son hôtel de ville un micro-quartier réinventé, de la rigole au lampadaire.

Dans cette cavalcade à la réinvention permanente, l’espérance de vie des idées, fussent-elles géniales (ce qui est rare et même « rerare »), se voit évidemment très raccourcie. Dam ! Il faut bien laisser place au suivant pour qu’il re-réinvente à son tour. C’est l’éternel « re-tour ». Il faut croire qu’inventer ne suffit plus, il faut réinventer, refaire ce qui déjà a été fait et même refait par le passé. Les inventeurs bégayent. Sous le soleil fougueux de la Culture, un esprit de conquête parkinsonien boute désormais sans répit les idées anciennes pour les remplacer fissa par les mêmes dûment labellisées. C’est formidable, mais qu’importe ! L’accélération du processus est son propre antidote. De toutes ces idées réchauffées, mais refroidies par les suivantes, ne subsisteront au final que des effets d’annonce. Et c’est tant mieux.

Car enfin, quand un Napolitain de pacotille vous jure qu’il réinvente à chaque fournée la pizza, vous flairez l’arnaque. Quand un éditeur vous réinvente Dostoïevski, Pessoa ou George Orwell à grandes pelletées de traductions nouvelles, là encore le coup juteux se pousse du col, mais, dans notre monde de villes et de territoires, là où pourtant la création demande des décennies pour se voir adouber, la réinvention vite fait sur le gaz est à tous les étages. Qui tend l’oreille peut alors percevoir dans le feulement des banches et des poutrelles, les re, re, re, reu, areuh areuh, arreuh… ânonnés par des innocents tout étonnés de voir se réinventer l’éventé de la veille. Pince-moi, je « re-ve ».

 

Retrouvez le Quid de Philippe Trétiack dans le numéro 426 d’AA, disponible ici.

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