© Pavillon de l'Arsenal, Paris

Actualités

Penser Paris depuis l’animal : entretien avec Léa Mosconi

Fondé en 2015 par Henri Bony et Léa Mosconi, l’Atelier Bony Mosconi est une agence parisienne dont la démarche est aussi bien pratique que théorique. Tous deux architectes et maîtres de conférence, respectivement dans les écoles d'architecture de Versailles et Nantes, ils sont également les commissaires scientifiques de l’exposition Paris Animal, présentée au Pavillon de l’Arsenal jusqu’au 3 septembre 2023. À cette occasion, Léa Mosconi répond à AA.

Propos recueillis par Eléonor Gras

L’exposition présentée au Pavillon de l’Arsenal jusqu’au 3 septembre 2023, dont vous êtes les commissaires scientifiques, a pour thème l’animal dans la ville. Pourquoi ce choix ?

Léa Mosconi : D’abord parce que l’animal est une figure de l’altérité et qu’il nous amène à penser la manière dont cohabiter avec ce qui nous est différent, ce qui nous échappe, ce qui est régi par d’autres règles que les nôtres. Penser Paris depuis l’animal, c’est opérer un décentrement qui permet de concevoir des modalités de partage de l’espace entre ces êtres différents que sont par exemples les humains, les mésanges, les chiens, les hérons cendrés et bien d’autres. Par ailleurs, cette exposition a été pensée dans ce début des années 2020, décennie marquée par la crise écologique et par l’émergence d’une considération pour la question du vivant et des vivants. C’est ce contexte de crise, écologique et d’altérité, qui nous a amené à construire cette histoire animale de Paris.

© Pavillon de l’Arsenal

Tout au long du parcours, quarante-quatre récits nous narrent, via textes et images, l’histoire de Paris et de sa relation aux animaux. Si vous deviez ne retenir qu’un seul de ces récits, lequel choisiriez-vous et pourquoi?

LM : Ce serait peut-être l’un des premiers récits de l’exposition Le roi tué par un cochon (titre repris d’un livre de Michel Pastoureau). En 1131, le jeune roi Philippe traverse Paris à cheval. Un porc domestique qui divague dans la rue fait trébucher sa monture, le roi tombe et meurt. On légifère alors pour mettre de l’ordre dans la présence animale au sein de l’espace public, ce qui sera difficilement appliqué. Cette anecdote incarne assez bien l’enchevêtrement entre humains et bêtes dans le Paris médiéval et la manière dont cette présence animale va être mise sous contrôle à la fin du Moyen-Âge.

© Pavillon de l’Arsenal
A gauche, enluminure "Le prince Philippe tué par un cochon", 1332-1350

Dans votre monde idéal, à quoi ressemblerait la cohabitation entre animaux et humains, aujourd’hui à Paris ?

LM : « Nous devons, au cœur d’un présent épais, apprendre à bien vivre et à bien mourir ensemble », cette phrase de la philosophe Donna Haraway a été un horizon pour penser la partie prospective de l’exposition. Dans le Paris à venir, il y a bien sûr des enjeux  écologiques (préserver le sol qui contient un quart de la biodiversité, favoriser les anfractuosité dans les façades et dans l’espace public, développer le nombres de mares qui, en réseaux ont un rôle déterminant, penser les continuités vertes, brunes, bleues…) qui ont un impact assez fort sur la conception de l’architecture et de la ville. Il y a aussi des enjeux de cohabitation : pour bien vivre et bien mourir ensemble, il nous faut trouver des modalités spatiales pour partager le territoire. C’est à la fois penser les seuils, par des dispositifs architecturaux, urbains, spatiaux, pour cohabiter dans la ville dense et faire face aux conflits d’usage, et en même temps penser une programmation qui soit en capacité d’instaurer des relations symétriques entre humains et bêtes.

Domination. Anfractuosité. Seuil © Hadrien Krief
Dessins d'Hadrien Krief sur les relations entre les animaux et la ville.

Quel conseil donneriez-vous à de jeunes architectes pour façonner, demain, une architecture qui saurait intégrer le monde vivant ?

LM : De faire une architecture qui nous échappe. C’est parce que les façades vieillissent, se fissurent, qu’elles génèrent des anfractuosités qui permettent à la petite faune de s’abriter ; c’est parce que des espaces sont en friches que la biodiversité peut se développer. Ce qui nous échappe, par ailleurs, nous met face à une complexité qui nous positionne non plus en architecte-auteur mais en architecte-enquêteur, pour comprendre, décrire, décrypter les situations, les enjeux, les acteurs et les actants, qui constituent les conditions du projet. Faire du projet l’outil pour comprendre la complexité d’un monde qui nous échappe, c’est un beau programme !

© Bony Mosconi

 


Paris Animal. Histoire et récits d'une ville vivante
Commissaires scientifiques, Henri Bony et Léa Mosconi, architectes
Pavillon de l'Arsenal
21, boulevard Morland, 75004 Paris
Visible jusqu'au 3 septembre 2023

React to this article