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Christine Leconte : « Les architectes ne sont pas des designers de façade ! »

Christine Leconte répond aux questions de L’Architecture d’Aujourd’hui sur les enjeux actuels du « Permis de faire ». L’occasion d’aborder également sa récente prise de fonction en tant que présidente du Conseil régional de l’Ordre des architectes d’Ile-de-France, succédant à Jean-Michel Daquin.

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L’Architecture d’Aujourd’hui : Vous vous êtes impliquée dans l’élaboration de la loi « Liberté de création, architecture et patrimoine » promulguée en juillet 2016 et dont les premiers décrets paraissent depuis mars 2017. Quels sont, pour vous, les enjeux de cette loi ?

Christine Leconte : Pour revenir sur le contexte de cette loi, plusieurs rapports sur la profession d’architecte et l’enseignement – établis lors de la présidence de François Hollande – ont nourri le désir d’une Stratégie Nationale pour l’Architecture, portée par la Ministre de la Culture, Fleur Pellerin. À la fois avec cette loi « Liberté de création, architecture et patrimoine » mais aussi par le biais de diverses initiatives ministérielles : les journées nationales de l’architecture, la journée nationale de l’architecture dans les classes mises en place en 2016, en plus du doctorat en architecture. L’un des principaux enjeux de cette stratégie est de reconsidérer l’architecture du quotidien et de se donner les moyens de le faire. L’accès à une ville pour tous est essentiel : la ville et le logement en particulier ne doivent pas être uniquement vus comme un produit économique. Les architectes et les promoteurs privés doivent travailler ensemble sans oublier les enjeux et les qualités architecturales à mettre en place. Nous voulons, avant tout, revenir à une architecture qui nous permet de vivre dans de bonnes conditions ! Au total, trois ministres successifs de la Culture – Fleur Pellerin, Audrey Azoulay et Françoise Nyssen – se sont penchés sur cette problématique. Au sein de cette loi, qui concerne également le domaine culturel (musique, théâtre, cinéma, etc), le « permis de faire », est une manière de s’affranchir des contraintes normatives et de favoriser l’innovation. C’est l’usage – et ses évolutions au quotidien comme la recomposition familiale, l’apparition du numérique dans les logements, etc – qui doit primer dans la conception architecturale.

AA : Pensez-vous que le « Permis de faire » permette d’ouvrir davantage le chantier sur la ville, d’en faire un lieu d’expérimentation ?

CL : Quand on ouvre un chantier au public, les gens viennent le visiter. Il permet aux habitants de mieux comprendre le projet et de se l’approprier avant sa livraison. Il faut comprendre le fonctionnement d’un bâtiment, dans un contexte favorisant les économies d’énergie. Cela nécessite un temps d’apprentissage pour l’usager : ouvrir les fenêtres pour favoriser une ventilation naturelle, gérer l’ensoleillement avec des occultant…

Le chantier permet aussi de former une main d’œuvre qui se doit d’être qualifiée et de faire le lien entres tous les acteurs de la construction. Le projet évolue constamment. Même pendant la phase de construction, l’architecte et ses confrères remettent en question, retravaillent ensemble et s’efforcent de trouver des alternatives sur certains éléments du projet. L’architecte garantit l’équilibre global du projet, c’est son rôle. Il faut donc qu’il reste acteur du projet jusqu’à sa livraison, c’est une sécurité pour tous.

AA : Avant d’être élue présidente du Conseil régional de l’Ordre des architectes d’Ile-de-France, vous étiez Secrétaire générale du Bureau pendant quatre ans. Qu’est-ce que cette nomination représente pour vous ?

CL : Ma précédente fonction m’a permis d’avoir une vision très large des enjeux. Avoir travaillé en étroite collaboration avec Jean-Michel Daquin m’a également préparée à cette fonction. Il n’est pas nécessaire d’avoir une grande agence d’architecture pour être présidente du Conseil. Nous pouvons tous exercer de manière diversifiée. Cette diversité nécessaire est aussi une force pour notre profession. C’est là que réside une part de son avenir, selon moi. Il y a 20 ans, les jeunes diplômés pouvaient accéder plus facilement à la commande, notamment dans le domaine du logement social, mais aujourd’hui, à la sortie des études, beaucoup sont salariés d’une grande agence et deviennent dessinateurs, sans pouvoir exercer tout ce qu’ils ont appris. Heureusement, on estime à environ 30% les architectes HMONP qui se regroupent en collectif, défendent un positionnement engagé et conservent une part de recherche théorique dans leur pratique. Jean-Michel Daquin considérait d’ailleurs que « l’architecte se repositionne ». Mon rôle en tant que présidente de l’Ordre est aussi de mettre en lumière cette nouvelle génération « pro-active » qui diversifie sa pratique et se constitue en réseau, par nécessité mais aussi par conviction. Dans le même temps, nous devons faire face à une image de plus en plus dégradée de l’architecte auprès du grand public, de la maîtrise d’ouvrage et nous devons rebondir. Nous ne sommes pas des designers de façade, mais des professionnels du cadre de vie.

AA : Comment comptez-vous améliorer l’image de l’architecte et favoriser une plus grande cohésion de la profession ?

CL : Le premier constat est que, pour l’habitat individuel, l’architecte reste très en retrait : pour construire sa maison, le particulier n’est obligé de faire appel à lui qu’au-delà de 150 m2 de surface. Ainsi, plus de 80% des maisons individuelles sont construites sans architecte.  Nous sommes donc plutôt reconnus pour les équipements publics et le logement collectif. Nous devons recréer ensemble le « désir d’architecture », car nous avons tous des usages différents. Seul l’architecte est en mesure de concevoir des espaces propres à chacun, en faisant une synthèse technique, environnementale, architecturale… Il faut davantage démocratiser l’architecture. C’est à nous, les 30 000 architectes français, de prendre notre bâton de pèlerin pour promouvoir notre savoir-faire, notamment auprès des élus, et montrer aux citoyens que nous sommes à même de répondre à leurs besoins.

L’enjeu aujourd’hui est de repenser une architecture du quotidien recentrée autour de l’homme. C’est particulièrement vrai dans les périphéries de villes où l’habitant et ses usages ne sont plus au cœur du projet et de l’aménagement du cadre de vie : dans un espace public, c’est l’enfant qui devrait être le roi, pas les voitures comme dans les centres commerciaux. Si on veut que la « France moche » s’arrête, il faut prendre le temps de la conception, mais également prendre des décisions politiques fortes en termes d’aménagement du territoire. Quand il s’agit de l’intérêt public, les résultats sont plus durs et longs à venir, mais cette prise de conscience est nécessaire au regard des grands enjeux sociaux.

Améliorer l’image de l’architecture, cela passe également par une sensibilisation, et ce dès le plus jeune âge : instaurer au sein des écoles primaires des journées et des ateliers d’initiation à l’architecture et au paysage, organisés par des architectes bénévoles. Nous œuvrons chaque jour à l’Ordre pour favoriser le rassemblement de tous les architectes quelque soit leur pratique (libéral, service public, conseil à la maîtrise d’ouvrage) au service de notre ambition commune : créer un meilleur cadre de vie pour nos concitoyens.

Entretien réalisé par Laurie Picout et Mathilde Weill le 7 décembre 2017

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