©Hannah Wei
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Le véritable coût des études d’architecture

En partenariat avec L’Architecture d’Aujourd’hui, l’Union nationale des étudiants en architecture et paysage (UNEAP) prend la plume et propose, en dix articles,  d’explorer les enjeux contemporains auxquels sont confrontés les étudiants en architecture et paysage.

Le premier épisode de cette série entend questionner les parts structurelles et conjoncturelles de la surcharge de travail au sein des écoles d’architecture, et son impact inévitable sur l’état de santé des étudiants.

«Pourquoi donc les étudiants en architecture travaillent-ils la nuit? Et parfois plusieurs nuits de suite? Cette divergence par rapport à la norme sociale et au rythme biologique ne rencontre pas de réponse intuitive. Pour tenter de trouver une réponse, il faut comprendre comment fonctionne l’enseignement de l’architecture.»

Youri Dayot, La culture des charrettes dans les ENSA : pourquoi les étudiants en architecture ne dorment pas?

CharretteHérité des Beaux-Arts, l’enseignement de l’architecture donne une place centrale à la création, alliant réflexion et production, rendant le travail, par nature, éternellement perfectible. Il est ainsi difficile de savoir s’arrêter lorsque l’on pense devoir produire davantage, lorsque le résultat final prime sur le chemin parcouru. «Être charrette», c’est connaître une période de travail intense qui précède un rendu, pouvant entraîner des nuits sans sommeil. L’origine de cette expression remonte à l’époque où l’architecture était enseignée au sein de l’école des Beaux-Arts et fait référence à la charrette sur laquelle les étudiants acheminaient jusqu’au jury leurs productions de grande dimension, souvent dans la précipitation. 

Au cœur d’une formation pluridisciplinaire, l’enseignement de l’architecture est enrichi par les arts, la sociologie, l’histoire, les sciences et techniques, l’urbanisme, le paysage, l’informatique ainsi que les langues vivantes. Si cela est vrai en théorie, la complémentarité des enseignements n’est en pratique pas évidente. En résultent une surcharge de travail, des sacrifices personnels et une forme d’épuisement. En 2018, plus de 75 % des étudiants en architecture et paysage affirmaient ressentir un impact physique lié au stress. En dépit de ces conditions, les étudiants en architecture et paysage témoignent d’une force de travail et d’une véritable envie d’apprendre.

Longtemps invisibilisée, la difficulté des étudiants de nos écoles est aujourd’hui plus que jamais mise en lumière, notamment dans les pages de médias généralistes nationaux, quand elle n’était relayée jusqu’alors que par la presse spécialisée.

Tradition devenue norme, la charrette a un impact sur tout étudiant en architecture. Si le caractère délétère de cette pratique ne peut plus être contesté, elle persiste pourtant, à l’école comme en agence. À ses adeptes et fervents défenseurs, je demande, la privation de sommeil forge-t-elle de meilleurs architectes? Comment peut-on prétendre concevoir des lieux de vie qualitatifs, quand nous-mêmes ne plaçons pas le bien-être au premier plan?

Cela fait maintenant des années que l’UNEAP et les représentants étudiants alertent nos écoles et nos ministères sur l’urgence d’agir pour la santé et le bien-être des étudiants. En 2017 en France, préoccupés par l’état de santé des étudiants et l’inaction des acteurs de l’enseignement supérieur en architecture et paysage, les étudiants furent à l’initiative d’une enquête nationale sur le bien-être. Ses résultats révélèrent l’impact des études d’architecture sur la santé de ses étudiants, entre autres : les effets de la culture de la charrette, du manque de sommeil et du stress, mais également la sous-évaluation de leurs conséquences physiques, psychologiques et psychiques par l’ensemble des acteurs de nos écoles.

Deux ans et dix mois après la publication des résultats de l’enquête nationale, force est de constater que la situation des étudiants ne s’est pas améliorée.

À ces problématiques déjà bien ancrées s’ajoutent désormais les conséquences de la crise sanitaire. Malgré les dispositifs mis en œuvre pour assurer une continuité pédagogique, nous ne pouvons que constater les difficultés auxquelles étudiants et enseignants sont confrontés. Dans le processus de conception, les échanges sont nombreux et les supports utilisés sont multiples. Privés des discussions et des digressions, des croquis réalisés par nos enseignants et camarades sur nos carnets, des documents et maquettes que nous pouvions observer et manipuler, des déambulations dans l’école à la découverte des productions de chacun, des voyages, des livres dans lesquels nous nous perdions… C’est une part fondamentale de notre apprentissage qui nous est retirée : celle du partage, celle de l’autonomie. 

Osons regarder au-delà de nos frontières et questionner notre retard dans la mutation de nos modèles d’enseignements et supports pédagogiques.

La formation en architecture ne suit pas la perpétuelle évolution des outils et enjeux de la profession, et les rêves et envies des étudiants se retrouvent rapidement confrontés à la rigidité des modèles pédagogiques. En 1968, les étudiants remettaient déjà en question les programmes et la pédagogie au sein de la formation en architecture. Plus d’un demi-siècle plus tard, quelle place occupent les étudiants dans la définition des enseignements en France et ailleurs?

Inspiré du modèle d’enseignement français de l’école des Beaux-Arts, le modèle américain présentait les mêmes problématiques. À la suite du décès d’un étudiant en architecture en 2001, l’American Institute of Architecture Students (AIAS) fut à l’initiative de revendications ayant conduit à la formulation d’un programme d’action. Si une telle politique a pu se développer, c’est d’une part grâce aux moyens importants de l’AIAS et d’autre part au soutien dont l’association dispose dans les sphères de décisions. 

Posons-nous la question suivante : allons-nous enfin prendre le temps de questionner la direction vers laquelle nous avançons les yeux fermés?

Il y va de notre responsabilité collective — ministères, administration, enseignants, professionnels et étudiants — de remettre en question les lieux et modèles d’enseignement pour repenser la formation en architecture et son avenir, et enfin placer le bien-être au centre de nos intérêts. Et ce travail, que nous le voulions ou non, ne pourra s’effectuer sans les architectes de demain. 

Lise Le Bouille, présidente de l’UNEAP 


Image : charrette du vendredi chargée des rendus des étudiants à l’École des Beaux-Arts, gravure extraite du livre d’Alexis Lemaistre, L’École des Beaux-Arts dessinée et racontée par un élève, Paris, Librairie Firmin-Didot, 1889.

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