Hendrik CZAKAINSKI, Salt, 2020, technique mixte, 90 x 155 x 5 cm © Lukas Stiller
Hendrik CZAKAINSKI, Salt, 2020, technique mixte, 90 x 155 x 5 cm © Lukas Stiller

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Les architectures imaginaires d’Hendrik Czaikainski

D’abord peintre, Hendrik Czakainski conçoit depuis près de 10 ans des architectures imaginaires qu’il présente en sculptures murales. Après avoir enseigné l’architecture à l’école technique Beuth de Berlin, il se consacre désormais entièrement à la création artistique. Les tissus urbains qu’il compose en grandes sculptures murales oscillent entre « ordre et chaos, norme et déviation, le concret et l'abstrait »
À l'occasion de son exposition à la galerie Wallworks à Paris du 21 mai au 10 juillet 2021, AA reproduit ici l'interview que l'artiste avait donnée au journaliste Jean-Philippe Hugron en 2016, publié dans AA 413.

L’Architecture d’Aujourd’hui : Autodidacte et menuisier de formation, vous avez récemment exposé à Paris, lors de l’Urban Art Fair, mais aussi à Berlin, à l’Urban Spree Gallery, des créations fortement inspirées par l’univers des villes. Pouvez-vous nous en dire plus sur vos sources d’inspiration ?

Hendrik Czakainski : Mes travaux tentent de traduire un aperçu des phénomènes qui se produisent lors des processus de mondialisation, d’industrialisation et de développement démographique. Le contenu de mon travail peut être lié à des catastrophes, à des bidonvilles ou encore à des sites industriels particulièrement pollués. Au final, j’essaie de traduire tout cela en beauté. Quant à mes inspirations, je ne peux pas réellement désigner d’oeuvre, ni aligner des noms d’architectes ou citer quelque construction que ce soit… Cela dit, j’ai été particulièrement marqué par des voyages en Inde et au Népal, dans des bidonvilles que j’ai visités et où j’ai été confronté à des situations particulièrement douloureuses.

Pouvez-vous résumer votre manière de travailler ?

J’observe d’infinis détails, parfois insignifiants dans des films de science-fiction, dans des films d’action où les effets spéciaux sont légion ou encore dans des documentaires. Je collectionne toutes ces images et ces captures d’écran que je positionne un peu partout dans mon atelier. Des idées plus concrètes me viennent alors à l’esprit ; je les traduis rapidement en croquis. Je commence ensuite à mettre en oeuvre des formes. J’en ajoute… j’en enlève… Il est même arrivé qu’une oeuvre a priori achevée finisse par être sciée en deux pour être plus juste. Je travaille aussi à l’horizontale. Je dois sans cesse changer de perspective : je place mon travail sur un mur, l’observe de loin, m’en rapproche, grimpe sur une échelle pour le regarder d’en haut… La plupart de mes oeuvres sont ensuite accrochées plusieurs semaines dans mon atelier. En général, j’en profite alors pour commencer un autre travail et c’est là que la distance m’amène toujours à d’autres changements souvent décisifs. Aussi, les oeuvres se chevauchent et certaines compositions naissent parallèlement et s’affectent l’une l’autre. C’est d’ailleurs ce que j’essaie d’enseigner à mes étudiants.

À la Beuth Hochschule für Technik de Berlin, votre cours s’intitule « la représentation libre ». Qu’est-ce que l’art peut apporter à une formation technique ?

Précisons, tout d’abord, que je n’ai pas reçu de formation classique. Je suis un autodidacte. C’est sans doute pourquoi je souhaite, à travers mon enseignement, créer une relation singulière avec mes étudiants. L’ambition de mon cours est de leur apprendre la représentation en perspective, le croquis, la composition, les techniques de dessin, l’utilisation de matériaux divers ou encore la construction de maquettes. Je tente de développer toutes leurs capacités et, plus encore, leur sens esthétique. En retour, ils m’enseignent des aspects plus techniques, notamment les bases d’une architecture fonctionnelle. Cet échange est très enrichissant et il influence d’une certaine manière ma compréhension de l’architecture et nourrit avec subtilité mon art.

En effet, vous travaillez sur la forme et la structure. Quel est votre rapport à l’architecture ?

Formes, structures et espaces m’ont toujours fasciné. Plus jeune, j’ai beaucoup appris de l’environnement bâti par la pratique du skateboard. Sur une planche à roulettes, on développe une compréhension de l’architecture et ce, dans des contextes fort différents. Ce point de vue ne m’a jamais quitté. Ma formation de menuisier m’a ensuite permis de penser la construction et l’espace par l’intermédiaire du dessin et de la figuration.

Hendrik CZAKAINSKI mettant la dernière main à son œuvre Triften dans son atelier berlinois, 2020 | Leak 1, 2021, technique mixte, 120 x 75 x 5 cm © Lukas Stiller
Hendrik CZAKAINSKI mettant la dernière main à son œuvre Triften dans son atelier berlinois, 2020 | Leak 1, 2021, technique mixte, 120 x 75 x 5 cm © Lukas Stiller

Que signifient pour vous les questions d’échelle, d’espace et de matière ?

Certaines informations présentées à l’observateur par l’intermédiaire d’une oeuvre d’art dépendent du lieu d’exposition. Tout commence, bien entendu, par l’espace, celui de l’oeuvre dans lequel la relation entre formes et structures s’organise, et s’achève par la situation dans l’espace, celui où l’oeuvre est contemplée. La spatialité joue un rôle d’autant plus important dans ma réflexion que mon travail plastique s’étire généralement dans la longueur. J’aimerais, à ce sujet, travailler à une plus grande échelle encore ! Quant à la matière… je m’efforce de jouer des illusions. Je souhaite qu’une oeuvre puisse, par exemple, paraître plus lourde qu’elle ne l’est. D’autres présentent des aspects métalliques ou donnent l’impression du béton ; je n’utilise pourtant que du carton, du papier, parfois des panneaux en fibres de bois. En travaillant la couleur, en ajoutant de la poudre métallique ou encore en utilisant de l’acide, on peut toujours arriver à obtenir ces autres matières…

Enfin, quel regard portez-vous sur l’architecture contemporaine ?

L’architecture est pour moi le miroir du temps. Dans cette époque marquée par les disparités et les clivages, tandis qu’une grande partie de la population vit dans la pauvreté et se retrouve logée dans des conditions épouvantables, il y a des gens, un peu partout dans le monde, qui vivent dans l’abondance. Et là où le capital abonde, les bâtiments érigés peuvent être incroyablement impressionnants… écrasants même. Cette architecture, qui se révèle de plus en plus sculpturale, montre que le développement des techniques, mais aussi des matériaux, offre d’infinies possibilités. L’architecture semblerait même en mesure de lier vie, esthétique et fonction. Il est également fascinant de voir que l’art de bâtir permet de créer des endroits improbables et, bien au-delà, de rendre habitables des contrées hostiles. Enfin, si l’objectif est d’aller vers plus d’harmonie entre l’homme et la nature, je trouve plus intéressante encore l’interaction entre architecture et forces naturelles. L’un des défis d’aujourd’hui me semble de pouvoir faire face aux catastrophes naturelles.


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www.wallworks.fr
www.hendrikczakainski.com

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