Arc en rêve Papers

La forêt en modèle

Jusqu'au 12 février, arc en rêve présente « Salle de classe, architecture de l'adolescence », une exposition consacrée à la classe comme support d'apprentissage et de socialité adolescente. Comment l'architecte peut-il s'inspirer d'une forêt, pour développer un bâtiment efficace qui responsabilise les élèves ?

Après l’entretien avec les architectes sud-africains Ilze et Heinrich Wolff, trois autres exemples sont présentés dans arc en rêve papers, les suppléments du centre d’architecture de Bordeaux diffusés en partenariat avec L’Architecture d’Aujourd’hui. Dans la deuxième partie de cette série, l’architecte Joaquim Moreno et Christophe Catsaros, critique d’architecture, discutent avec l’architecte autrichien Hermann Kaufmann.

LYCÉE SCHMUTTERTAL À DIEDORF

© Stefan Müller-Naumann

Joaquim Moreno : Nous examinons les écoles après la Seconde Guerre mondiale, lorsque l’adolescence est devenue un concept important. Nous recherchons ces « seed schools », des années 1960, encore utilisées. Nous recherchons également des exemples plus contemporains, où des mutations intéressantes ont eu lieu. C’est là qu’intervient le lycée Schmuttertal de Diedorf. Nous l’avons classé dans la section « incarnation ». Ceci dans le sens d’un environnement d’apprentissage, d’une écologie adressée aux corps qui l’habitent. À cet égard, votre choix de faire référence à une forêt nous a interpellés. Comment le thème de la forêt inspire-t-il votre projet ?

Hermann Kaufmann : Le lien avec la forêt est plus formel et s’inscrit moins dans une symbolique globale. C’est une image que nous avons utilisée dans le livre pour illustrer l’idée derrière le système de colonnes en bois et la façon dont elles déterminent l’espace intérieur commun. Elle fait référence au fait que l’école est construite en bois, mais le concept est surtout lié à la régularité de certaines des forêts que l’on trouve en Allemagne. Bien sûr, on pourrait être tenté aujourd’hui de lier l’utilisation du bois à la fonction du bâtiment pour expliquer la référence à la forêt. Celle d’un lieu d’éducation, et celle de la transmission d’une sensibilité écologique. Mais ce n’est pas ce que nous avions en tête lorsque nous avons fait appel à cette image. Ce à quoi l’image de la forêt fait référence, c’est la régularité de la grille des colonnes de bois.

 

Christophe Catsaros : Qu’en est-il de la fonction pédagogique des constructions en bois ? Il semble qu’il y ait une lisibilité tectonique dans ce projet, et qu’il joue aussi un rôle éducatif. Un sens du bien construit transmis par la simple utilisation d’un bâtiment.

Hermann Kaufmann : Cela a effectivement été envisagé. Par sa conception, le bâtiment rend accessibles certaines idées liées à sa propre composition. C’est comme une introduction à l’architecture. Et le bois rend cela possible. Si vous exposez la structure, vous pouvez voir le système porteur et, bien sûr, il y a une dimension éducative lorsque vous faites cela dans une école. Même si les étudiants ne comprennent pas l’ingénierie de la construction, on peut dire qu’ils la ressentent, qu’ils en sont conscients.

 

Christophe Catsaros : Cette école a été construite il y a 5 ans. Comment a-t-elle évolué par rapport à son utilisation ?

Hermann Kaufmann : Au début, nous étions assez préoccupés par la fragilité de l’école, par le fait que certains des éléments structurels en bois étaient exposés et non protégés. Nous avons été agréablement surpris de voir que l’école était absolument respectée par les utilisateurs. Aucun vandalisme, aucun graffiti sur le bois non traité. Six ans plus tard, l’école est toujours aussi belle que lorsque nous l’avons livrée.

Il y a certainement une dimension psychologique au fait que les jeunes respectent ce qui est placé sous leur responsabilité. Les utilisateurs, tant les élèves que le personnel de l’école, apprécient l’ouverture de l’établissement. La lisibilité structurelle fait partie de notre façon de concevoir l’architecture. Nous pensons beaucoup à la construction, et c’est un élément très déterminant de ce que nous construisons. Le bois est un matériau merveilleux pour rendre la construction visible. L’autre chose que nous avons décidé de faire est que chaque colonne de cette construction s’élève à trois étages.

La simplicité de la structure n’est pas mise en scène, elle est réelle. Sur les 100 colonnes, une seule a dû être coupée en deux. Le bois est un matériau contraignant pour un architecte. C’est un matériau avec lequel on n’a pas le droit de faire des erreurs constructives. Peut-être que cette clarté de la construction donne aussi aux jeunes l’impression que le bâtiment fonctionne.

© Stefan Müller-Naumann

Christophe Catsaros : Pendant longtemps, la construction en pierre a symbolisé l’excellence du bâtiment, le « bien fait ». La pierre a porté cette fonction symbolique. Puis le béton est arrivé et a pris ce rôle. Peut-on imaginer que le bois joue ce rôle à l’avenir ? Peut-il devenir le symbole universel du « bien fait » ?

Hermann Kaufmann : Si vous regardez l’évolution des choses au cours des 20 dernières années, vous verrez que cela a déjà commencé. Il y a tellement de projets, au niveau national et international, qui font le choix du bois. Il y a également beaucoup de capitaux d’investissement « verts » dans le monde. Dans notre région du monde, la construction en bois est un choix évident. Le problème est la capacité de l’industrie du bois, qui est limitée. Le bois est un matériau prometteur, mais la capacité de l’industrie est limitée.

Christophe Catsaros : Vous avez évoqué la clarté tectonique et sa dimension pédagogique. La modélisation peut-elle être envisagée ici ? Le Lycée Schmuttertal pourrait-il être un modèle reproductible ?

Hermann Kaufmann : Nous avons également réalisé des écoles où la construction n’est pas visible. Nous ne pouvons pas considérer ce que nous avons fait au Lycée Schmuttertal comme un modèle général reproductible. Ce projet a reçu des fonds de recherche pour étudier l’empreinte environnementale du bâtiment. Des questions telles que « Quel type de bois, quel type de chauffage, comment éviter le syndrome des bâtiments malsains » ont structuré cette recherche. Et bien sûr, tout ce que nous avons réalisé devait être fait sans dépasser les coûts de construction. L’aspect discipliné et rationnel de la construction est lié à son engagement envers toutes ces prérogatives.

 

Joaquim Moreno : L’idée qu’un corps sain, l’école en tant que structure, produit des corps sains, les élèves, est assez intéressante. Le fait que l’argent de la recherche soit allé dans un projet avec ce genre de perspective est également remarquable. À la suite de cette recherche, vous avez réduit le nombre de structures de 6 à 4 pour réduire les coûts.

Hermann Kaufmann : Oui, ce financement de la recherche nous a permis de faire un effort supplémentaire en termes de conception.

Christophe Catsaros : Tous les bois ne se valent pas ?  

Hermann Kaufmann : Cela dépend de la tâche à accomplir. Personnellement, je n’ai aucun problème avec le bois d’ingénierie. Si vous n’utilisez pas de bois d’ingénierie, il devient plus difficile de construire à cette échelle. Vous ne pouvez pas obtenir les mêmes poutres et dimensions avec du bois sans colle.

 

Christophe Catsaros : Y a-t-il des choses que vous auriez faites différemment aujourd’hui ?

Hermann Kaufmann : Florian Nagler [architecte, partenaire sur le projet] et moi avons utilisé beaucoup de technologie pour rendre ce bâtiment efficace. La ventilation, les économies d’énergie, tout cela est basé sur une technologie sophistiquée. Aujourd’hui, nous aurions essayé d’obtenir les mêmes performances avec moins de technologie. Après l’avoir terminé, Florian a eu l’idée que nous devrions commencer à chercher comment construire de manière plus simple.

Hormis cette autocritique, nous avons eu des retours positifs, tant de la part des enseignants que des élèves. La technologie fonctionne, le bâtiment est tel qu’il a été conçu. Pas de surchauffe en été, pas d’écart majeur entre la planification et la réalité. Le problème est de savoir ce qui se passe lorsque le responsable technique tombe malade ! Alors la machine ne fonctionne plus.

© Stefan Müller-Naumann

Joaquim Moreno : Dans les premiers bâtiments écologiques, dans les années 60, comme le mur solaire de Henry Morgan, les utilisateurs avaient la possibilité de manipuler, de réguler le bâtiment. Existe-t-il un système semblable au Lycée Schmuttertal ? Les élèves peuvent-ils activer des fonctions ? La ventilation transversale est-elle entièrement automatisée, et les élèves comprennent-ils comment cela fonctionne, en termes d’énergie ? Ont-ils un rôle à jouer ?

Hermann Kaufmann : Non, ils n’ont pas de rôle à jouer. Ils peuvent ouvrir les fenêtres, mais rien de plus. Tout est automatisé.

 

Joaquim Moreno : Venons-en à l’aménagement des salles de classe. Le collège propose des environnements d’apprentissage qui ne nécessitent pas une attention strictement frontale.

Hermann Kaufmann : Dans la plupart des écoles, il suffit de fermer la porte pour entrer dans une salle de classe. Ici, beaucoup de choses se passent dans les espaces interstitiels, les couloirs, et dans l’espace partagé. Les quatre salles de classe ont un espace partagé que nous appelons la place du marché. Cette ouverture pédagogique a été impulsée par les enseignants. Ils ont été encouragés par leur directeur à poursuivre dans cette direction. Les lieux dédiés à l’apprentissage suivent en quelque sorte les évolutions qui ont déjà eu lieu dans les espaces de travail. L’école est composée de quatre bâtiments. Un pour les sports, deux avec des salles de classe et un pour la cantine et la bibliothèque.

Joaquim Moreno : De nombreuses écoles s’inspirent des cloîtres, ces lieux historiques d’apprentissage fermés. La disposition générale du Lycée Schmuttertal est celle d’une place ouverte, au milieu des bâtiments. Comment cette disposition se rapporte-t-elle à l’expérience d’apprentissage ?

Hermann Kaufmann : L’école est située à côté de la gare de Diedorf, afin de permettre aux étudiants d’accéder plus facilement aux villages voisins en train. L’école n’est pas située au centre du village. Il y a aussi une grande salle avec une scène dans un des bâtiments qui est ouverte à toute la communauté, pour des concerts, ou des événements collectifs.

 

Christophe Catsaros : Vous avez dit tout à l’heure que l’industrie du bois n’arrive pas à fournir ce que le marché demande. Ne pourrait-on pas imaginer un écosystème de la construction qui permet un accès plus lent aux matériaux ? Ralentir le rythme de la construction, de la planification à la livraison, pour laisser au bois local le temps nécessaire pour répondre à la demande d’une région ?

Hermann Kaufmann : Ce n’est pas le problème principal. Le problème clé du bois est que nous utilisons trop de bois pour l’énergie, la pâte à papier et les usages jetables. Il y a suffisamment de bois si nous réduisons ces facteurs.

© Kaufmann

 

© Kaufmann

 

© Kaufmann

Exposition « Salle de classe, architecture de l’adolescence »
arc en rêve centre d’architecture, Bordeaux
Jusqu'au 12 février 2023

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