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Aux origines du Festival des Cabanes

À Annecy, le Festival des Cabanes revient du 2 juillet au 15 novembre 2022 pour sa 7ème édition. En attendant le lancement des festivités, retour sur les origines de cet événement devenu incontournable. Article signé Jean-Philippe Hugron, issu de notre numéro hors-série « Le Festival des cabanes. Pour une architecture située ».

En 2016, sueurs froides sur le lac. La première édition du Festival des cabanes est décidée. L’appel à projets est publié avec la crainte de ne recevoir que quelques réponses insuffisantes. Pour pallier ce risque, quatre agences composées d’architectes prometteurs sont invitées à réaliser quatre des douze cabanes promises. Alors que les dossiers de candidature et leurs maquettes tardent à venir, l’angoisse monte d’un cran, mais, à quelques jours de la date limite d’inscription, documents et modèles réduits finissent par arriver en quantité. Voilà de quoi remplir toute une église ! Alignés dans la nef, les projets forment une suite improbable de formes soumises à l’appréciation des organisateurs.

L’émotion qu’éveille ce moment récompense l’effort de l’équipe du festival. À l’heure où les premières constructions sont apparues ici et là dans la vallée, la curiosité n’a pris que tardivement le pas sur la critique. Et pour cause, la nouveauté intrigue voire dérange. Une fois familiarisés avec cette fantasque collection d’étranges constructions, les habitants se sont appropriés ces cabanes, ils ont grâce à elles redécouvert la beauté de leur paysage. Appréciées, les cabanes n’en ont été que plus défendues ; elles ont même été consciencieusement réparées d’une dégradation malchanceuse. Cette première édition a donc fini sur la note optimiste d’un succès populaire au point même d’oublier les accents railleurs des premières heures pour dénoncer et pleurer le démontage de ces belles installations. Retour sur trois d’entre elles.

Le Nid
Plan d’eau de Marlens, Val de Chaise
Architectes : Thomas Dalby, Coline Giardi et Ugo Elzière
(Atelier Vecteur)

Atelier Vecteur est un « laboratoire d’architecture ». Il réunit depuis 2010 cinq « membres » : architectes, designers, artistes et graphistes. Leur point commun ? « Un passage à l’école d’architecture de Montpellier ». Leur objectif est de « créer un outil permettant des pratiques architecturales et artistiques originales pour se libérer du carcan de la pratique traditionnelle ». En 2012, l’Atelier est remarqué, une première fois, lors du Festival des Architectures Vives. Installé dans la cour de l’Hôtel Saint-Côme à Montpellier, leur projet Wood Box avait attiré tous les regards. Ce pavillon était alors présenté comme « la symbiose d’un cube, volume maîtrisé, rigide, et d’un ovoïde aux courbes douces et irrégulières ». Peu après, en 2013, ils créent La Rivière des sens pour le Festival International des Jardins de Chaumont-sur-Loire : une succession de cadres en bois formant un tunnel, qualifié de vortex, transformant le paysage à chaque virage, se laissant envahir par la végétation sur certains tronçons. Enfin, en 2015, sur les remparts d’Aigues-Mortes une intervention surprenante constituée à nouveau d’un enchevêtrement de bois, venait confirmer la belle réputation de l’Atelier Vecteur. Le Festival des cabanes semblait donc indiqué pour être la suite logique de ces explorations architecturales.

 

« Carcasse séculaire, c’est un vestige de
pêches miraculeuses oubliées ; sculpté par le vent,
Le Nid invite au voyage et à la réflexion. »

 

À cette occasion, l’Atelier profite d’un site particulièrement visible, l’île du plan d’eau de Marlens. Il se voit aussi confier rien de moins que la réalisation de la première cabane… lors de la première édition de l’événement. Aussi, ce club des cinq a saisi l’opportunité de concevoir une intervention démonstrative, un « nid » aussi abstrait que sculptural. « C’est une conversation avec le lac où l’intervention vient se refléter voire s’y calquer », assurent-ils. La cabane – qui n’en est pas une pour ses détracteurs – présente une succession de tasseaux en bois qui accompagnent le visiteur tout du long d’un labyrinthe singulier. « Le rythme vous aspire et vous guide dans le centre du nid. Tel un refuge, il permet au visiteur de s’isoler le temps d’un instant », poursuivent-ils. Les pêcheurs ont vu d’un mauvais oeil l’avènement, sur leur territoire, de cet objet singulier. L’absence de toit rendait, à leurs yeux, la construction inefficace et hors d’usage… C’était jusqu’à ce qu’ils en découvrent les charmes, se l’approprient, pour enfin la défendre y compris de sa démolition programmée. Bien des visiteurs surpris et intrigués n’ont pas vu le nid escompté ; cette forêt de lignes verticales – dessinant soit dit en passant la cime des montagnes voisines – évoque davantage une « cathédrale ». « Carcasse séculaire, c’est un vestige de pêches miraculeuses oubliées ; sculpté par le vent, Le Nid invite au voyage et à la réflexion », affirment ses concepteurs. Peut-être suggère-t-il également calme et recueillement… Pour pêcher en paix !

Chambre avec Vue
Saint-Ferréol, Nantbellet
Architectes : Damien Vieillevigne et Thibaud Becquer

Entre canon à lumière et périscope géant, cette cabane intitulée « chambre avec vue » se veut selon l’un de ses concepteurs – Damien Vieillevigne, fondateur de l’Atelier DVA – « un refuge et un belvédère ». « La cabane est lieu d’intimité et de repli », dit-il. En partie basse, il imagine un abri où chacun peut « s’allonger dans le foin ». À cette frugalité s’oppose la richesse du paysage. Aussi, à l’étage, accessible à l’aide d’une petite échelle, la cabane devient poste d’observation. « C’est un espace de contemplation où deux personnes peuvent s’installer sur un sol légèrement en pente afin de profiter de la vue vers les montagnes et le ciel grâce aux cadrages prévus à cet effet », explique l’architecte. Il fallait cependant orienter la frêle construction et, à ce sujet, Damien Vieillevigne souligne combien ce projet est né « de la volonté de créer une tension entre paysage proche et lointain ». « La cabane tire sa forme singulière de son implantation. Installée en léger retrait du plateau de Nantbellet, elle se déhanche pour faire face au grand paysage », explique-t-il. In fine sculpturale, cette cabane multiplie les expériences spatiales ainsi que les effets visuels et plastiques.

 

Une Cabane dans les Bois
Doussard, la Réserve
Architectes : Henry Flouzat, Clara Lamerre
et Léa Lamerre (Atelier 1:1)
Artisan chaumier : Adrien Bougeard

« La cabane est le premier abri de l’enfant confronté au monde extérieur, un espace caché pour se réfugier. Pour les adultes, elle reste un lieu propice au calme et au rêve », assurent Henry Flouzat et Clara Lamerre, architectes fondateur de l’Atelier 1:1. Si le songe est la première étape de l’idée, l’imagination a très tôt esquissé les contours d’un nid puis d’un abri. Encore fallait-il lui donner forme. Traités de nidification et autres encyclopédies aviaires pouvaient livrer bien des secrets. Le duo s’est arrêté sur un espace… d’espèce, le nid du « rousserolle turdoïde », en d’autres termes, du rossignol des rivières, une fauvette qui réalise son nid en suspension entre des tiges de roseaux. La cabane serait donc en hauteur. Imaginée en lien avec le lieu, et pour valoriser un savoir-faire local, elle est habillée de chaume de roseau. La réserve de Doussard abrite en effet l’une des dernières roselières des rives du lac d’Annecy et Adrien Bougeard, artisan chaumier, s’est plu à réaliser, selon une technique complexe dite « à l’horizontale », une vêture continue entre façade et toit.

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