ITAR et Fresh Architectures, immeubles de logements, Paris, 17e, 2018.
ITAR et Fresh Architectures, immeubles de logements, Paris, 17e, 2018 © David Foessel

Confiné.e.s

Confiné.e.s : Ingrid Taillandier

Face au confinement imposé à tous pour contrer la propagation du virus Covid-19, nombre d’architectes ont dû adapter leur pratique et leur méthode de travail à ce nouveau rythme de vie. La série « Confiné.e.s » leur donne la parole, en interrogeant leur vision de la situation — mais aussi leurs recommandations culturelles. Aujourd’hui, les réponses de l’architecte Ingrid Taillandier, à la tête de l’agence ITAR Architectures, qui s’apprête à livrer 72 logements locatifs sociaux à Paris, boulevard Ney.

Capture d’écran 2020-04-02 à 17.57.30L’Architecture d’Aujourd’hui : Où êtes-vous confinée et comment vous êtes-vous organisée pour poursuivre votre activité ?
Ingrid Taillandier : Mes collaborateurs sont en télétravail chez eux ou dans leur famille en province, en partage de connexion et d’écrans avec les ordinateurs de l’agence. Je travaille à temps partiel seule à l’agence à Paris, entourée des écrans fantomatiques qui bougent au gré du travail à distance.

Confinement et architecture sont-ils antinomiques ?
Pour l’acte de construire, oui, car il est pratiquement impossible de maintenir en activité un chantier en organisant correctement les mesures sanitaires barrières.
Pour l’acte de concevoir, non. Même si nous perdons en fluidité au sein de l’équipe entre architectes et ingénieurs ou paysagistes, nous retrouvons du temps pour dessiner des détails, pour prendre les bonnes décisions sans précipitations. Les délais initiaux trop serrés de certains projets s’allongent. Les réunions sont réduites désormais au minimum. Nous profitons de ce temps gagné pour la conception.
Le confinement nous rappelle combien il est important d’offrir de vraies qualités aux logements, aux espaces communs d’un bâtiment, seuls lieux de circulations libres pendant cette période particulière.

Quelles leçons pensez-vous tirer de l’impact écologique de cette crise ?
Ni que la Nature se venge, ni que l’humanité triomphe. Cette crise s’inscrit dans le très long court de l’histoire, sans qu’on puisse vraiment en tirer les leçons, sauf une leçon d’humilité. L’intensité de la globalisation accélère les événements mais comme au temps de la peste noire du XIVe siècle (née aussi en Chine d’ailleurs), nous sommes aussi impuissants et vulnérables.
L’idéal serait la prise de conscience collective d’une nécessité de diminution de la consommation à tout va, d’un besoin de ralentissement de la course aux déplacements inutiles, professionnels comme touristiques, du nécessaire développement des circuits courts pour l’alimentation comme pour la construction.
Il serait trop radical de condamner la densité seule frein possible à l’étalement urbain. Mais il est vital de continuer à travailler une densité raisonnée, une densité à l’échelle humaine, à la taille des bâtiments et nombre de logements par palier maîtrisés, offrant du vide, de l’accès au ciel, des espaces communs. Une densité de possibles.

Un film à voir / un livre à lire pendant le confinement ?
Stalker, d’Andreï Tarkovski, encore et encore, pour la dilatation du temps…
À la Recherche du Temps Perdu de Marcel Proust, pour le temps retrouvé…
Et en architecture, Précisions sur un État Présent de l’Architecture, le livre de Jacques Lucan et la vidéo de sa conférence au Pavillon de l’Arsenal [à retrouver à la fin de l’article, nldr].

Un compte à suivre sur les réseaux sociaux ?
Aucun, j’ai décroché…

Qu’espérez-vous de cette expérience ?
Que l’on en sorte plus solidaires, plus conscients des choses essentielles, plus épris encore de liberté, cette liberté, essence de nos démocraties, dont une des conséquences aussi de la crise a été de nous en priver.

Quel impact a ce confinement sur la perception de votre espace de travail et, inversement, de votre espace domestique ?
Je considère comme Virginia Woolf que nous avons tous besoin d’« une chambre à soi » pour créer, concevoir, écrire, retrouver un monde intérieur riche. Il s’agit donc de créer ce lieu à mon agence et de reconsidérer différemment mon travail en open space. L’étincelle créatrice naît de la confrontation impromptue des idées mais elle peut naître aussi d’un repli sur soi parfois bénéfique.

© Ingrid Taillandier © 11h45
© Ingrid Taillandier © 11h45

ITAR, 72 logements Paris, 18, en cours. « Chaque logement possède sa propre loggia. Ces espaces extérieurs privatifs sont essentiels dans la situation de confinement que nous vivons. »

La vidéo de la conférence de Jacques Lucan au Pavillon de l’Arsenal :

Le site d’ITAR Architectures

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