Tribunes

Avis d’avocat : réhabilitations et droits d’auteur

L'architecture dans l'œil du juridique : à l'invitation de L'Architecture d'Aujourd'hui, le cabinet d'avocats Loyseau de Grandmaison, expert en conseil et contentieux du droit de la propriété intellectuelle, du marché de l'art et des affaires, a accepté de rédiger pour AA plusieurs articles pour lire autrement l'architecture.

À la suite de la précédente publication, "Protéger le design", Diane Loyseau de Grandmaison et Carole Georges, avocats au Barreau de Paris, rappellent cette fois-ci les enjeux de la propriété intellectuelle dans le cadre de la réhabilitation d'un bâtiment, en écho au nouveau numéro d’AA sur le même sujet. 

QUELLE PROTECTION POUR LES RÉHABILITATIONS ?

Extensions, remises à neuf, trompe-l’œil, collages habiles, réfection totale, palimpsestes historiques, etc. ; le défi de la réhabilitation a mille visages et dope la créativité des architectes. Mais cet art de la transformation, qui n’est plus réservé aux monuments historiques et concerne tous nos bâtiments du quotidien, est-il juridiquement protégé ?

Le dictionnaire Larousse définit l’architecture comme « L’art de construire des bâtiments ».

Cette définition, si brève soit elle, souligne immédiatement la double facette de l’architecture, discipline frontière entre art et technique, consistant à concilier les choix artistiques et esthétiques de l’architecte, avec les impératifs fonctionnels et techniques attachés à sa construction.

L’art de l’architecture bénéficie ainsi de longue date d’une protection au titre du droit d’auteur. Les « plans, croquis et ouvrages plastiques relatifs à (…) l’architecture (…). » sont d’ailleurs expressément listés par le code de la propriété intellectuelle comme des œuvres de l’esprit protégeables [1], sous réserve de leur originalité.

L’originalité étant définie, par la jurisprudence constante, comme « l’empreinte de la personnalité de l’auteur », l’on comprend aisément les difficultés générées par l’identification et l’individualisation des droits de chacun des architectes étant intervenus successivement sur un bâtiment.

Dans quelles conditions l’architecte œuvrant à la réhabilitation d’un bâtiment peut-il bénéficier de la protection du droit d’auteur ?
Comment individualiser cette originalité, lorsque l’architecte conserve en tout ou partie l’architecture du bâtiment existant ?
Comment ses droits coexistent-ils avec ceux de l’architecte précédent ?

Les réponses à ces questions ne sont ni simples, ni unanimes et dépendent bien entendu de chaque cas particulier, l’appréciation de l’originalité impliquant au surplus une certaine subjectivité.

Ainsi, la Cour d’Appel de Paris a pu considérer, en 1996, qu’un ouvrage de rénovation bénéficiait d’une protection au titre du droit d’auteur s’il « ne relève pas de la seule nécessité mais traduit un choix esthétique spécifique et confère à l’ensemble réalisé un caractère original » [2].

Les juges analysent ainsi les plans, croquis, peintures et photographies des bâtiments pour en déterminer l’originalité, indépendamment des potentielles contraintes et directives, qu’elles soient administratives ou imposées par la conservation d’éléments d’origine.

C’est ce qu’a confirmé la Cour de cassation en 1997, en considérant que « des plans d’urbanisme ont le caractère d’une œuvre de l’esprit protégée par le Code de la propriété intellectuelle, dès lors qu’ils portent la marque de la personnalité de leur auteur qui, bien que contraint de respecter les directives administratives, ne s’est pas limité à fournir une simple prestation technique, mais a fait œuvre de création originale » [3].

En 2016, la Cour d’appel d’Aix en Provence a rappelé que les droits conférés à l’architecte sur son œuvre supposent qu’elle soit « originale et personnelle »  [4], ce qui en l’espèce n’était pas le cas, faute pour l’architecte d’avoir produit aux débats des plans signés de sa main notamment.

Plus récemment, en 2020, dans le cadre de travaux de réhabilitation d’immeubles de résidence, la Cour d’appel de Paris a pu considérer que l’œuvre de l’architecte, consistant notamment à remplacer à l’identique une toiture et à ravaler les façades dans une couleur se rapprochant de l’existant, n’était pas suffisamment originale pour bénéficier de la protection au titre du droit d’auteur, l’aspect extérieur demeurant inchangé [5].

Ainsi, seul l’architecte qui s’écarte des nécessités techniques ou utilitaires, pour opérer des choix esthétiques spécifiques et originaux marquant son œuvre de l’empreinte de sa personnalité, peut bénéficier d’une protection au titre du droit d’auteur.

Dans le cas d’une réhabilitation, cette protection suppose que l’architecte ne se contente pas de réhabiliter à l’identique un bâtiment existant.

Et qu’il s’agisse ou non d’une réhabilitation, l’architecte doit toujours être en mesure de prouver de façon certaine son processus créatif, ce qui suppose qu’il conserve précieusement toutes les preuves de ses créations personnelles.

En conclusion, pour être protégé par le droit d’auteur, l’architecte doit exprimer au travers de son œuvre sa créativité personnelle et être en mesure de prouver son processus créatif, en s’assurant toutefois, dans le cadre d’une réhabilitation, de ne pas porter atteinte aux potentiels droits moraux et patrimoniaux antérieurs de ses confrères.

 


Diane Loyseau de Grandmaison et Carole Georges

Avocats au Barreau de Paris
www.cabinetldg.fr

 


[1] Article L.112-2, 12° du Code de la propriété intellectuelle

[2] Cour d’appel, Paris, 20 novembre 1996, JurisData n° 1996-024119

[3] Cass. crim., 24 sept. 1997, n° 95-81.954, JurisData n° 1997-005582

[4] Cour d’appel, Aix-en-Provence, 3e chambre A, 4 Février 2016 – n° 14/15767

[5] Cour d’appel, Paris, Pôle 5 – Chambre 1, 24 novembre 2020, n°19/01232


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