1962, Frank Lloyd Wright - coupe sur la vallée de Los Angeles
Frank Lloyd Wright Jr. - coupe sur la vallée de Los Angeles, 1962

Actualités

Le parc, mise en œuvre de l’utopie 4—4

Quatrième et dernier temps de ce dossier d’Archizoom Papers, tiré du travail de l’architecte et paysagiste Matthew Skjonsberg autour du civic design, l’école de pensée qui s’efforça de définir un antidote à l’urbanisme. Archizoom Papers est une revue en ligne itinérante, fruit d’un partenariat entre AA et Archizoom, la galerie de l’EPFL. Prochain rendez-vous autour des travaux de Sébastien Marot, philosophe de formation et docteur en histoire, autour de la question de la campagne et son analyse critique.

Le dernier volet de ce dossier consacré aux systèmes de parc revient sur trois cas spécifiques : la ville de Madison et sa façon de s’inspirer de Genève, la commune de Spring Green où Frank Lloyd Wright applique ses concepts utopiques de Broadacre City, ainsi que le système de parcs pour Los Angeles, élaboré par la génération suivante de concepteurs que sont Frederick Law Olmsted Jr. et Frank Lloyd Wright Jr.

MADISON – La leçon du lac Léman

1909 – Le système de parcs de Nolen pour le Wisconsin

La Madison Park and Pleasure Drive Association était une association de citoyens qui travaillait avec succès à concilier les intérêts des cyclistes, des amateurs d’automobiles, des clubs nautiques et des sociétés ferroviaires1. Elle fit appel à John Nolen, un associé d’Olmsted qui donnait des conférences sur le design civique, pour élaborer un système de parcs qui fut publié dans le rapport Madison : A Model City (1910)2. La mission de Nolen – réconcilier les chemins de fer avec la ville – est clairement illustrée dans une série de comparaisons par juxtaposition entre Madison et Genève, une ville présentant selon lui un précédent dont on aurait tout intérêt à s’inspirer.

Le Madison park system fabric de Nolen

L’une des premières images établissant cette comparaison montre, d’un côté, l’« Approche de Madison-Est par les chemins de fer: Première impression de la capitale de l’État du Wisconsin » – qui est plutôt désolée et peu flatteuse – et , de l’autre, « Un hôtel sur le lac de Genève en Suisse : Une situation qui pourrait être dupliquée de nombreuses fois sur les lacs de Madison, si la ville était aménagée selon un plan adapté. » Ce même traitement comparatif est proposé pour montrer l’arrivée dans la ville par l’eau, les images étant légendées comme suit : « Approche de Madison par l’eau : montrant aussi la gare de Madison-Est de C., M. & St. Paul Railroad » et « Approche de Genève par l’eau : comparez avec les vues de la page ci-contre ». Parmi les sites recommandés par Nolen pour un traitement spécifique de la ville, on trouve le bord du lac au terminus de l’axe sud de la ville, pour lequel il propose la « Terrasse Monona » – un espace civique où il suggère, non sans ambition, de s’inspirer des jardins de Versailles. Cette série d’images comparatives sont légendées ainsi : « Site de projet de terrasse au pied de Monona Avenue, à Madison, donnant sur le lac » et « Vue sur les jardins de Versailles, suggérant un style de traitement approprié pour l’approche proposée de la nouvelle capitale de l’État du Wisconsin depuis le lac Monona ».

Finalement, la « ville modèle » de Nolen n’est pas un modèle formel mais un modèle d’organisation. Cette séquence de références donne encore plus de pertinence aux images qui viennent clore le rapport de 1910 de Nolen pour Madison – après cette longue comparaison entre le Wisconsin et la Suisse, il est logique que Nolen inclue le plan de la ville de Genève, qu’il légende ainsi :  

« La ville de Genève est à bien des égards un modèle pour Madison. Notez l’organisation des rues, l’emplacement des bâtiments publics et des espaces ouverts, l’utilisation publique du bord du lac3. » 

Bien que Genève, comme d’autres villes du lac Léman, ait depuis cédé une grande partie de l’accès public dont elle disposait autrefois, son histoire témoigne d’avancées qui en fait un modèle instructif pour Madison.  

SPRING GREEN – Nature Culture

1947-1959 – La vallée de Taliesin de Wright

Après la guerre, plus d’une centaine d’apprentis vivaient à Taliesin – les bâtiments agricoles avaient été convertis en logements, et les exploitations agricoles s’étaient déplacées dans des fermes voisines appartenant aux membres de la communauté. C’est à ce moment-là que Wright entreprit de concevoir, pro bono, « un aménagement régional avec des autoroutes et des systèmes de parcs » pour la vallée de ses ancêtres, la Lloyd Jones Valley, où est situé Taliesin4. Ce projet jusqu’ici inédit met explicitement en œuvre ses concepts utopiques de Broadacre City dans sa propre région, ce qui nous permet d’affirmer que la vallée de Taliesin est ce qui se rapproche le plus d’une version construite de son projet visionnaire. 

Ses collaborations passées avec ses amis Jens Jensen et Dwight Perkins, très soucieux de préservation, ont eu une influence évidente sur sa conception des systèmes de parcs – la plus grande zone ombrée du plan est intitulée « Protéger la réserve naturelle : conservation nationale ou fédérale de la vie sauvage ». De même, le plan prévoit des zones tampon écologiques tout le long de la rivière, ces zones étant tour à tour qualifiées de « Lowland Forest » (Forêts alluviales), « Swamp Woodland » (Forêts marécageuses), « Grass Marsh » (Marais herbeux), « Sedge Marsh » (Marais de carex) et « Sand Flats » (Surfaces sableuses). Le plan détaille également le corridor ferroviaire et montre comment le pont au-dessus de la rivière est relié à deux « ponts papillon » destinés à être construits en deux points – à l’est et à l’ouest de Spring Green. Enfin, le réseau compact de Spring Green se voit doté d’une « extension de parcs », le reliant directement à la rivière. De même, les corridors ferroviaires existants et les axes autoroutiers modifiés sont bordés d’extensions aux parcs existants. Le résultat final est un système de parcs étonnamment informel, caractérisé par une continuité spatiale et une cohérence écologique. 

Frank Lloyd Wright, Spring Green Community Center (three-images), 1958

C’est la participation de Wright à la communauté qui rend ce projet si fascinant, l’inscrivant dans un engagement à long terme envers sa famille et sa communauté. C’est ce que montrent également la séquence de plans et de dessins d’exécution de la ferme – dont un choix représentatif est montré ici – et la série de projets de design civique qu’il a entrepris pour sa communauté, qui se sont accélérés à la fin de sa vie. Ces initiatives bénévoles sont entrecoupées par des commandes personnelles et officielles, et l’on perçoit bien comment ces changements de situation incitaient Wright à adopter une attitude plutôt souple et pragmatique face à ces projets, tout en conservant pour la vallée de ses ancêtres une vision civique et inscrite dans la durée. La liste des projets civiques qu’il a conçus pour sa communauté de Spring Green les deux dernières années de sa vie – une école, un bureau de poste, une clinique médicale, un centre communautaire et un jardin public – représente en soi un programme de design civique.  

LOS ANGELES – Systèmes futurs

1962 – Le système de parcs régionaux de Lloyd Wright

L’architecte paysagiste Frank Lloyd Wright, Jr. (1890-1978) est le premier fils du célèbre architecte – il préférait être appelé Lloyd Wright, et la plupart des textes qui lui sont consacrés explorent la relation inévitablement complexe entre lui et son père. Cette séquence de design civique et de projets de systèmes de parcs pour la région de Los Angeles apporte une contribution unique à cette chronologie, soulignant la nature intergénérationnelle des motivations inspirées et des engagements pris auprès de la communauté pour concevoir et créer des systèmes de parcs.  

Frank Lloyd Wright Jr. (Lloyd Wright), Los Angeles Regional Plan (plan à grande échelle), 1963

 

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Frank Lloyd Wright Jr. (Lloyd Wright), croquis du Los Angeles Regional Plan (plan central), 1963

 

Frank Lloyd Wright Jr. (Lloyd Wright), Los Angeles Regional Plan (plan central), 1963

Le système de parcs conçu pour Los Angeles en 1963 correspond au dernier plan régional de Lloyd Wright pour Los Angeles, qui fait suite à sa participation à trois autres projets : d’abord avec les Olmsted dans les années 1920-30, puis deux autres dans les années 1940. Selon son fils Eric, ce projet reflète un intérêt soutenu pour la protection de la nature et une fascination croissante pour les nouvelles technologies et les transports. Avec une avance de cinquante ans sur Space X, le plan comprend plusieurs bases de lancement de fusées. Dans le texte5 qui accompagne ses plans, Lloyd Wright défend la protection du cadre naturel unique de la région, et affirme que ce projet, entre autres choses, « faciliterait les conditions de travail et favoriserait l’intégration ethnique grâce à l’automatisation », « transformerait la production guerrière en services humains », et créerait « une noblesse et une beauté architecturale6 ». Son schéma territorial est une forme qui permet, au moyen de deux cercles concentriques et d’une croix asymétrique, de se déplacer dans un rayon de 500 mètres dans la plupart des quartiers existants de la ville, qui sont très hétérogènes. Ces couloirs écologiques relient ces quartiers entre eux en tissant une forme qui – grâce à un peu de creusement et de comblement – croise la nature à mi-chemin. 

1962 Lloyd Wright - Schéma de plan régional de Los Angeles
1962 Lloyd Wright – Schéma de plan régional de Los Angeles
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1962 Lloyd Wright – Schéma de plan régional de Los Angeles

Dans New Culture and Urban Ecology, écrit en 1977 un an avant sa mort, Lloyd Wright adopte une vision plus critique de la priorité qu’il accordait au développement technologique. Il dénonce notamment la culture d’entreprises comme IBM et Honeywell, dont les liens militaro-industriels sont connus, et préconise qu’une place aussi importante soit donnée aux initiatives écologiques et culturelles7. Ces valeurs apparaissent clairement dans le système de parcs régionaux de Lloyd Wright pour Los Angeles – un projet qui à lui seul démontre la compatibilité et la continuité de pensée entre l’importance écologique des systèmes de parcs d’Olmsted, les enseignements sociologiques de la « coupe sur la vallée » de Patrick Geddes, et l’ambition architecturale et culturelle de la Broadacre City de Frank Lloyd Wright.

1962 Lloyd Wright -
Frank Lloyd Wright Jr, coupe sur la vallée de Los Angeles, 1962

1. John Nolen, Madison : A Model City, Madison, Wis., Madison Park and Pleasure Drive Association, 1911. 
2. Nolen, Madison : A Model City, op. cit., p. 15. 
3. Nolen, Madison : A Model City, op. cit., p. 145. 
4. Bruce Brooks Pfeiffer, Frank Lloyd Wright : Complete Works, Vol. 1, 1885-1916, Peter Gossel. (dir.), Box edition, Cologne, Taschen America, 2011, p. 119.
5. Frank Lloyd Wright, « The Butterfly Wing Bridge », The Architectural Forum, janvier 1948.
6. Alan Weintraub, Lloyd Wright, New York, Harry N. Abrams, 1998, p. 266. 
7. « Lloyd Wright Papers, 1920–1978 », UCLA Library Special Collections, consulté le 10 novembre 2017 

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