Centre Européen du Judaïsme, Stéphane Maupin et Bruno Fléchet, 2020 © Luc Boegly + Sergio Grazia
Centre Européen du Judaïsme, Stéphane Maupin et Bruno Fléchet, 2020 © Luc Boegly + Sergio Grazia  © Clément Guillaume

Tribunes

Une laïcité architecturale, par Rudy Ricciotti

Cette carte blanche par Rudy Ricciotti, architecte et grand prix national de l’architecture, est issue du hors-série AA consacré au Centre Européen du Judaïsme conçu par Stéphane Maupin et Bruno Fléchet.

Dans une réalité nationale ordinairement antisémite, concevoir une critique architecturale pour une synagogue relève a minima d’un devoir de bienveillance, a fortiori d’une responsabilité politique. Le mot « juif » ne se prononce plus si ce n’est dans l’anxiété, à voix basse, la tête dans les épaules ou le cognitif raciste, lorsqu’il est entre guillemets. Maupin architecte de tous les dangers est un gentilhomme dont l’honneur pour toujours sera d’avoir construit le Centre Européen du Judaïsme, avec son confrère Bruno Fléchet. Sa silhouette et volumétrie urbaine s’inscrivent dans Paris avec justesse et pudeur. Là est la responsabilité sémantique dont doit faire preuve un ouvrage culturel ou cultuel… Une laïcité architecturale en quelque sorte.

 

Centre Européen du Judaïsme, Stéphane Maupin et Bruno Fléchet, 2020 © Luc Boegly + Sergio Grazia
Centre Européen du Judaïsme, Stéphane Maupin et Bruno Fléchet, 2020 © Luc Boegly + Sergio Grazia

 

À la fois temple protestant ou temple maçonnique, le lieu est digne, sévère comme le désert du Néguev. À l’image du Kotel, mur des lamentations, son périmètre est constitué d’un socle en béton cyclopéen, base irrévocable de résistance contre la barbe verte ou le parement bois, derniers travestissements de l’architecture commerciale. Un territoire d’enchevêtrements, par de pudiques métaphores, rendu dense et savant. Il est une traversée dans le temps, suspendu entre mer Morte et mer Rouge. Les variations altimétriques, les vues plongeantes ouvrent en cascade un imaginaire poétique à saisir. Matériaux abruptes ou lisses, mats ou soyeux… Le registre est large pour un spectre réduit d’effets. Seul le songe d’un succube surréel résiste au voyage rétinien de l’architecte.

Hors la vue du drame consumériste, le Centre Européen du Judaïsme dépassera les nécessaires lamentations que toutes nos désillusions architecturales activent. Les fruits de la terre de Galilée sont à cueillir : grenadiers, figuiers, oliviers, arbres de Judée, genêts, sauge d’Israël. Comme son jardin, l’architecture de Maupin et de Fléchet traversera le temps en évitant les écueils de la mode et de la séduction.

Rudy Ricciotti

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