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Présidentielle 2022 : Valérie Pécresse répond à AA

L’architecture est un acte éminemment politique. Sans doute plus encore aujourd’hui qu’hier, au moment où, et c’est inédit dans l’histoire de l’architecture, quelques voix - d’architectes, oui - s’élèvent pour dire qu’il faut arrêter de construire si on veut espérer sauvegarder l’avenir de notre planète. La crise écologique, en devenant notre horizon, a définitivement changé la donne. Et si l’injonction peut paraître simpliste et radicale pour ses détracteurs, tout le monde s’accorde en revanche pour dire que l’acte de composer avec l’existant en transformant le parc bâti est indispensable. Cela n’était pourtant pas le cas il y a encore quelques années. Entre temps, des femmes et des hommes politiques, sollicités par des architectes engagés, ont permis de généraliser cette vision. Plus que jamais, le politique a le pouvoir de faire ou défaire l’aménagement du territoire, le développement urbain, et l’architecture.
Emmanuel Macron, Valérie Pécresse, Jean-Luc Mélenchon, Yannick Jadot, Anne Hidalgo… En 2022, quelles sont leurs réponses à ces questions urbaines et architecturales si peu posées par les médias généralistes ? Politique de la ville, transformation du parc bâti, gestion du logement social, mais aussi du parc tertiaire et commercial, stratégies à mettre en place pour répondre aux enjeux climatiques de l’époque… AA leur a posé la question. Voici les réponses de Valérie Pécresse (Les Républicains).
AA ayant récolté les réponses des candidats avant le déclenchement de la guerre en Ukraine, le sujet n'a donc pas été abordé dans ces échanges. La rédaction n'en est pas moins bouleversée et manifeste toute sa solidarité avec le peuple ukrainien. 

L’Architecture d’Aujourd’hui : En 2021, le Pritzker Prize, le Nobel de l’architecture, était décerné à l’agence française Lacaton & Vassal, dont le credo est le suivant : « réhabiliter plutôt que démolir ». Quelle est votre position en ce qui concerne l’équilibre constructions neuves / transformation du bâti existant ? 
Valérie Pécresse : Il doit effectivement s’agir d’un équilibre, en vue notamment de permettre une meilleure utilisation du bâti existant et de limiter l’artificialisation des sols qui participe à la perte de biodiversité.
Les qualités esthétiques, architecturales ou d’usage de l’existant doivent nous servir de guide pour identifier les bâtiments qui justifient un projet de réhabilitation plutôt qu’une approche par démolition-reconstruction. C’est également une approche vertueuse du point de vue de l’économie circulaire et du bilan carbone de ces opérations, puisque la réhabilitation produit moins de déchets de chantier et limite la consommation de nouveaux matériaux de construction.
J’ai conscience que ces réhabilitations sont parfois plus complexes à mener ou plus coûteuses, ce qui en fait un défi supplémentaire, notamment pour les maîtres d’ouvrage des collectivités. Mais je reste convaincue que la sphère publique doit montrer l’exemple en la matière ; et c’est cette conviction qui m’a amenée à faire adopter par l’assemblée régionale d’Ile-de-France un dispositif baptisé « réhabiliter plutôt que démolir », qui vient aider les collectivités en cofinançant leurs études et en apportant des subventions aux travaux de réhabilitation des équipements publics qu’elles mènent.
Mais attention ! Cette orientation ne doit pas conduire à mettre nos villes sous cloche et à brider l’inventivité de nos bâtisseurs. Parfois, démolir peut être un mal nécessaire ! Soit parce que la réhabilitation de certains bâtiments vétustes et très dégradés serait un non-sens économique, soit parce qu’on y vit mal. J’en veux pour preuve tous ces quartiers au cadre de vie dégradé où l’urbanisme de dalles et les barres d’immeubles font fuir tous ceux de leurs habitants qui le peuvent. Je refuse que les habitants de nos quartiers populaires en soient conduits à vivre leur ville comme une zone de non-droit ou un espace de contraintes.  Je veux mettre un terme à cette spirale du déclin en cassant les ghettos urbains, par une véritable politique de rénovation urbaine. C’est la condition pour faire revenir les classes moyennes dans ces quartiers, évolution indispensable pour relancer l’ascenseur social et créer une vraie mixité sociale, en faisant en sorte que les habitants moins favorisés bénéficient des mêmes écoles et des mêmes services que les classes moyennes. C’est cela, la promesse républicaine.

La pandémie aura montré que le ratio logements/bureau est déséquilibré. Quelques opérations de transformations de bureaux en logements émergent, dont on peut souhaiter qu’elles vont se multiplier. Quelles mesures préconisez-vous quant à la gestion du parc tertiaire français ?
Pour nombre de métiers et d’activités, le télétravail qui a connu une accélération avec la crise sanitaire va s’ancrer durablement dans les modes de vie, au moins une partie de la semaine. À travers les consultations que je mène, je note cependant que nos entreprises et nos administrations souhaitent préserver la capacité de réunir leurs collaborateurs en tant que de besoin. De même qu’après les expériences des confinements successifs, de nombreux salariés veulent revenir physiquement sur leur lieu de travail. Le bureau est aussi un espace où se crée du lien social, de la créativité et qui permet de rompre avec l’isolement. Il ne faut pas perdre cela. Il faudra donc toujours des bureaux.
Mais les bureaux vont évoluer, avec l’envie de renouveler nos manières classiques de travailler. Les nouvelles formes de travail plus collaboratives, permises notamment par le développement du numérique, sont des vecteurs de productivité. Le travail change, le bureau doit changer avec lui.
J’observe également qu’en plus de ces attentes, les utilisateurs de bureaux recherchent de plus en plus une grande performance environnementale des bâtiments qu’ils occupent. Il y a une vraie prise de conscience en la matière, qui fait directement écho aux ambitions de nos entreprises en matière de RSE. Et, de plus en plus, cette recherche de performance environnementale mais aussi d’un bâtiment qui favorise la santé de ses occupants s’accompagne du besoin de développer des bâtiments intelligents et connectés afin d’ajuster en temps réel les consommations d’énergie, de contrôler la qualité de l’air, d’optimiser la gestion des lumières. J’en parle d’autant mieux que j’ai moi-même choisi le nouveau siège de la Région Ile-de-France (livré à Saint-Ouen par Ferrier Marchetti Studio en 2020 ndlr) pour qu’il intègre de grandes ambitions environnementales tout en garantissant un haut niveau de santé et de bien-être à nos agents.
La demande pour des surfaces de bureaux neufs ou récents pourrait donc augmenter. La transformation de bureaux anciens en logements est donc amenée à jouer un rôle croissant dans la fabrique de la ville.
Actuellement, ces transformations se heurtent toujours à la complexité des zonages des documents d’urbanisme qui n’offrent pas toujours la souplesse nécessaire pour accompagner ces mutations souhaitables de nos villes. Je proposerai donc des mesures pour simplifier la réglementation et faciliter de telles transformations.

Alors que l’étalement urbain est récrié, la densification urbaine rencontre également des critiques. Les deux modèles de références que sont d’une part la maison individuelle, de l’autre l’appartement en logement collectif, ne semblent plus si désirables, le premier étant perçu comme un non-sens écologique, l’autre souffrant d’avoir été laissé aux promoteurs privés qui ont notamment procédé à une réduction massive de sa surface. Comment loger dignement les Françaises et les Français?
Répondre à cette question invite d’abord à s’intéresser à ce que veulent les Français ! Les Français sont très attachés au modèle de la maison individuelle. Et, n’en déplaise à la Ministre du logement qui a traité avec le mépris que l’on sait cette aspiration de nos concitoyens, je ne crois pas que ce modèle soit intrinsèquement plus mauvais qu’un autre ; n’oublions pas que les grands ensembles ont, eux aussi, leurs inconvénients et qu’ils souffrent souvent d’un fort taux de vacance. Il est cependant essentiel de penser une nouvelle forme d’urbanisme pour l’habitat pavillonnaire pour réduire l’artificialisation des sols mais aussi permettre l’installation de commerces de proximité et l’arrivée de transports en communs. Il faut donc abandonner la zone pavillonnaire en grappe d’autrefois, et créer de vrais morceaux de ville.
Devenir propriétaire reste une aspiration forte pour la très grande majorité de nos concitoyens. Mais ils sont nombreux (jeunes, intérimaires, CDD…) à ne pas pouvoir donner corps à cette aspiration si légitime Le taux de propriétaires en France est inférieur à la moyenne européenne. Je m’engagerai donc à favoriser l’accession à la propriété pour le plus grand nombre. C’est pourquoi j’étendrai le prêt à taux zéro (PTZ) à l’ensemble du territoire.
Je souhaite également développer le Bail Réel Solidaire en zone tendue, qui offre l’opportunité à des ménages à revenus modérés de ne plus être locataires, mais bien de se constituer un capital en remboursant chaque mois pendant la durée du bail des intérêts et une redevance. Le BRS peut être une première étape vers la pleine accession à la propriété, qui doit rester l’objectif.
Je voudrais aussi étendre au niveau national une réalisation qui m’est chère et que j’ai mise en œuvre en Ile-de-France : la garantie immobilière solidaire. Avec la Région, nous avons effacé les surprimes d’assurance des prêts immobiliers pour les personnes séropositives ou celles étant ou ayant été atteintes de cancer ou de maladies chroniques invalidantes. Je souhaite que ce soit l’État qui reprenne cette mission, en lien avec les fédérations des sociétés d’assurance.
Le corollaire de mon ambition de redonner aux Français la capacité de devenir propriétaires c’est de construire plus ! Dans son rapport rendu public à l’automne dernier, la commission pour la relance durable de la construction de logements présidée par François Rebsamen rappelait que les seules projections démographiques justifiaient de produire annuellement plus de 300 000 logements jusqu’en 2030. Il faut donc aller bien au-delà si l’on veut répondre aux défis posés par le mal-logement en France. Avec la pandémie, cette problématique du mal logement a pris une nouvelle dimension. Des logements trop petits ou mal adaptés au télétravail ont conduit beaucoup de nos concitoyens à vivre difficilement la période du confinement. Il faut donc aussi construire plus pour redonner de la qualité de vie à toutes ces familles.
Pour répondre à cette ambition, ma méthode repose sur deux piliers : simplifier les normes et redonner envie aux Maires d’être des bâtisseurs. Il est urgent de faire sortir des nouveaux projets ; or ceux-ci se trouvent systématiquement enlisés dans des procédures administratives qui n’en finissent pas : mon objectif est donc de diviser par deux la taille des codes de l’urbanisme et de la construction, et de renforcer la lutte contre les recours abusifs. Tout comme je veux réinterroger en profondeur la fiscalité de l’urbanisme pour récréer le lien fiscal qui existait avec la taxe d’habitation entre dynamique de construction et recettes pour les collectivités afin que celles-ci tirent de l’acte de construire les ressources suffisantes pour accueillir dans de bonnes conditions des populations nouvelles.

Les chiffres de la Fondation Abbé Pierre sont alarmants : 4 millions de personnes sans abri, mal logées ou sans logement personnel. Au total, en France, près de 15 millions de personnes sont touchées par la crise du logement. Quelles sont vos propositions en ce qui concerne l’augmentation – et la qualité – du parc de logements sociaux ?
Il faut naturellement continuer à construire du logement social. Je ne reviendrai pas sur le principe de la loi SRU et sur le seuil minimal de 25% de logements sociaux qu’elle impose dans son article 55. Par contre, je refuse les logiques de ségrégations sociales et je veux casser les quartiers ghettos. Je propose donc de rééquilibrer les villes concernées en mettant en œuvre une règle « anti-ghettos » : l’arrêt de la production de logements très sociaux, les PLAI et les PLUS, dans les villes qui comptent déjà plus de 30% de logements sociaux dans leur parc total. L’objectif est de faire redémarrer l’ascenseur social dans chaque quartier, ce qui appelle à mettre en place un équilibre résidentiel dans les quartiers. Dans ces quartiers où un rééquilibrage est nécessaire, l’État ne délivrera plus d’agrément que pour les logements financés en PLS, à l’exception des reconstitutions dans le cadre des projets de rénovation urbaine relevant de l’ANRU.
Je souhaite également faire reconnaître les travailleurs-clé de la crise sanitaire comme  prioritaires pour l’accès au logement social lorsqu’ils y sont éligibles, dans la commune où ils travaillent. Ces travailleurs de la première ligne occupent des postes ne pouvant être télé-travaillés et sont essentiels au fonctionnement d’une ville : il faut donc leur donner la possibilité de pouvoir se rendre facilement et rapidement sur leur lieu de travail.  Être au service de la population ne doit plus être synonyme de pénibilité !
En parallèle, j’intensifierai de manière volontariste la rénovation énergétique des logements sociaux en vue de traiter d’ici dix ans l’ensemble des passoires énergétiques du parc HLM. C’est une bonne mesure pour la planète comme pour le pouvoir d’achat des ménages logés dans le parc social qui verront leur facture de chauffage diminuer. Je sais que de nombreux bailleurs sociaux se sont déjà engagés dans cette voie, et il faut que l’Etat les y aide davantage.

Les villes sont particulièrement exposées aux dérèglements dus au réchauffement climatique (vagues de chaleur, pénurie d’eau, pollution, inondations, etc.). Quelles mesures préconisez-vous pour aider les villes françaises à s’adapter au réchauffement climatique ?
Je crois que la réponse à cet enjeu passera par une nouvelle stratégie d’aménagement du territoire que je vais porter et qui consistera à cesser de tout miser sur les métropoles et préférer une vision beaucoup plus polycentrique du développement de nos territoires, pour mieux équilibrer le territoire national.
Je suis convaincue que nos villes moyennes sont promises à un bel essor grâce à la conjonction de l’extension de la couverture en haut débit du territoire, la réindustrialisation de nos territoires mais aussi la proximité avec la nature et les grands paysages qu’offre leur cadre de vie.
En matière de construction durable, je propose de renforcer le recours aux matériaux biosourcés ou recyclés grâce au développement de nouvelles filières industrielles spécialisées dans la production de ces matériaux comme dans leur valorisation. Ainsi, la réindustrialisation de notre pays que j’appelle de mes vœux passera aussi par le secteur de la construction. En outre, je veillerai à accompagner la montée en qualification des professionnels du bâtiment vers la rénovation énergétique bas carbone afin de pouvoir accélérer la dynamique de rénovation énergétique du bâti existant.

De plus en plus, les zones commerciales en périphérie des villes françaises sont critiquées car elles dégradent nos paysages urbains et nos campagnes. Quel urbanisme commercial pour nos villes ?
Par rapport au modèle de développement commercial de nos territoires qui a prévalu depuis près d’un demi-siècle, il y a une vraie aspiration à encourager des unités commerciales à taille humaine, plus proches, pour retrouver du contact humain et du lien social.
Nos commerçants et artisans jouent un rôle central dans la vitalité de nos communes. Ils sont profondément enracinés dans nos territoires et constituent un véritable poumon économique. Il faut donc que le commerce opère sa mue pour être plus en phase avec les attentes de nos concitoyens. La nouvelle manière d’habiter nos territoires que je propose favorisera le développement d’une offre d’artisanat et de commerce diversifiée sur tous nos territoires. Il s’agit d’une véritable politique de reconquête du dynamisme des villes moyennes.
De plus en plus, nos concitoyens rechercheront une expérience mêlant expérience « on-line » pour la diversité des choix qu’Internet offre et expérience « off-line » pour bénéficier de conseils personnalisés et faire leurs courses. C’est pourquoi j’aiderai nos commerces de proximité à prendre le tournant de la transition numérique. C’est ce que j’ai fait en Ile-de-France sous la forme d’un chèque numérique afin qu’ils aient les moyens d’améliorer leur marketing digital et de développer le « web to store » pour booster leurs ventes. La transition numérique doit être une chance aussi pour nos petits commerçants et artisans. Cela supposera également de repenser en profondeur l’armature logistique de nos territoires afin d’optimiser la chaîne de distribution et l’acheminement au plus près du domicile de chaque Français sans pour autant aggraver l’empreinte carbone des activités logistiques. Je propose donc d’accompagner le verdissement des flottes des transporteurs, mais aussi de mieux anticiper les besoins fonciers de la logistique du dernier kilomètre dans les documents d’urbanisme.

Pouvez-vous citer une opération d’urbanisme ou d’architecture récemment livrée qui a retenu votre attention ? En quoi vous semble-t-elle exemplaire ?
Le Campus Condorcet ! J’avais initié ce projet de grand pôle des humanités et des sciences sociales lorsque j’étais Ministre en charge de l’enseignement supérieur et de la recherche ; et il résume bien ma méthode : transformer le cadre de vie de territoires défavorisés, comme ces quartiers d’Aubervilliers, en mobilisant des friches industrielles à l’abandon pour les transformer en un quartier vibrant, à l’architecture audacieuse, qui va briller à l’échelle internationale et valoriser l’image du pays tout entier. Je voudrais à ce titre remercier tous les urbanistes et architectes de talent qui ont permis de donner corps à cette vision – Antonini Darmon, Pierre-Louis Faloci, Karine Herman et Jérôme Sigwalt et bien d’autres ! -, avec une pensée particulière pour Elizabeth de Portzamparc à qui l’on doit le Grand Equipement Documentaire, la plus grande bibliothèque d’Europe en matière de sciences sociales. J’aime l’audace de son choix d’avoir proposé deux bâtiments asymétriques unis par une structure aérienne légère autour d’un forum qui propose des volumes intérieurs à la fois beaux et conviviaux. Ce parti architectural crée ainsi un vaste espace central autant intérieur qu’extérieur qui devient un point de rencontre naturel pour tous ceux qui se rendent sur ce site et, en même temps, l’ouvre sur le reste de la ville. Je vois dans ce forum moderne une traduction dans l’espace de la volonté d’encourager de nouveaux modes de travail collaboratif entre enseignants et étudiants et de constituer un point de repère emblématique dans ce nouveau quartier à vocation universitaire. Et, outre sa performance sur le plan environnemental, je retiens en particulier la large place laissée à la lumière naturelle qui baigne cet ouvrage exceptionnel grâce à ses grandes façades de verre. À travers cette réussite, je veux rappeler mon ambition : apporter du beau à tous les Français où qu’ils vivent, partout en France.

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