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Marina Tabassum signe le 25e Serpentine Pavilion

Depuis l’an 2000, année de son tout premier pavillon conçu par Zaha Hadid, la Serpentine Gallery, nichée au cœur des jardins de Kensington, à Londres, offre chaque été une carte blanche à un architecte n’ayant jamais construit au Royaume-Uni pour l’inviter à concevoir une structure temporaire, affranchie de toute contrainte fonctionnelle. Cet événement, devenu un rendez-vous incontournable de l’architecture contemporaine, célébrait cette année sa 25e édition en confiant la conception du pavillon à l’architecte et enseignante bangladaise Marina Tabassum. Baptisée A Capsule in Time, cette installation sera visible jusqu’au 26 octobre 2025 sur la pelouse de la Serpentine South.


Marina Tabassum, © Asif Salman

Depuis 2005, Marina Tabassum développe avec son agence de Dhaka, Marina Tabassum Architects (MTA), une pratique profondément ancrée dans le territoire bangladais. Engagée à la fois sur les plans social et écologique – deux dimensions indissociables dans un pays largement façonné par les plaines deltaïques, où la montée des eaux et l’érosion fluviale imposent un nomadisme contraint aux populations les plus vulnérables – l’agence s’inscrit à rebours des logiques de production mondialisée. Car Marina Tabassum revendique une architecture de l’écoute, vectrice d’expression de la culture et de l’histoire d’un pays.

Parmi ses projets les plus emblématiques, on pense à la mosquée Bait Ur Rouf, lieu de culte remarquable par son absence d’iconographie traditionnelle et la caractérisation de son ambiance lumineuse en fonction de la trajectoire du soleil, ou encore à Khudi Bari, ces maisons modulaires en bambou et acier initialement conçues pour offrir un abri abordable et mobile aux populations marginalisées vivant sur les rives du capricieux fleuve Meghna – et désormais déployées dans certains camps de réfugiés Rohingya. « Au cours des cinq dernières années, nous avons conçu des logements pour des personnes et des familles marginalisées, des populations déplacées. Le mouvement perpétuel de ces personnes ne concerne pas que leurs corps, mais aussi leurs maisons. Cette temporalité de l’architecture parle d’ailleurs davantage de mouvement que de temps : ce travail a été fondamental pour comprendre que c’est dans la justesse des mouvements qui l’entourent et qui la façonnent qu’une architecture peut réellement devenir intemporelle. »

Cette réflexion a guidé Marina Tabassum au moment de concevoir le Serpentine Pavilion, première structure que l’agence construisait hors du Bangladesh. « Quand nous avons été invité·es à participer, nous avons compris que cette commande pouvait être un bon démonstrateur pour parler des mouvements de l’architecture : on ressent les volumes et l’atmosphère propres à un espace généreux tout en étant enveloppé d’une lumière quasiment plastique ; dans le même temps, on a conscience de son caractère éminemment éphémère. C’est un bâtiment conçu pour célébrer les lumières de l’été, le passage d’un nuage, une pluie attendue et la beauté du parc, cinq mois durant », raconte-t-elle.

Interrogée sur l’écart entre cette commande londonienne – soutenue, pour la onzième année consécutive, par Goldman Sachs – et les projets militants qu’elle mène habituellement au Bangladesh, Marina Tabassum refuse toute comparaison rigide : « C’est une invitation, n’est-ce pas ? Bien sûr, le caractère éphémère du Serpentine Pavilion n’a pas grand-chose à voir avec les habitats d’urgence que nous concevons au Bangladesh – sinon peut-être quelques principes modulaires et constructifs. Mais je connaissais bien ce contexte : je suis venue ici tant de fois, notamment pour découvrir les pavillons précédents… Je n’ai pas trouvé cette commande repoussante, bien au contraire. Notre métier d’architecte nous confronte toujours à des défis : c’est une chance d’avoir pu transporter notre architecture, notre pensée et notre éthique de travail en-dehors du Bangladesh. J’ai d’ailleurs déjà conçu plusieurs installations de cet ordre, qui relèvent davantage de la profession de foi que du bâtiment. »

Serpentine Pavilion 2025 A Capsule in Time, designed by Marina Tabassum, Marina Tabassum Architects (MTA). Exterior view. © Marina Tabassum Architects (MTA), Photo Iwan Baan, Courtesy: Serpentine.

Implantée selon un axe nord-sud, la structure s’organise autour d’une cour centrale alignée avec le clocher de la Serpentine South. L’enveloppe de la « capsule », décomposée en quatre façades ellipsoïdales dont les panneaux de polycarbonate insérés dans des châssis acier tamisent et filtrent la lumière du jour, s’inspire des shamiyana, tentes légères aux voilages colorés que l’on déploie lors des cérémonies et fêtes dans plusieurs pays d’Asie du Sud. L’une de ces façades translucides est mobile, offrant une reconfiguration possible de l’espace, et invitant à une appropriation évolutive par le public selon l’humeur des cieux londoniens.

Si les arceaux structurels des shamiyana sont traditionnellement réalisés en bambou, Marina Tabassum opte ici pour une charpente en bois lamellé-collé. « Le bois ne fait pas partie du vocabulaire constructif de mon pays, mais nous nous sommes adaptés au contexte européen. Le chantier devant être mené en filière sèche, nous voulions concevoir une forme et une structure facilement montable et démontable – puis déplaçable, lorsque le bâtiment vivra sa seconde vie [les Serpentine Pavilions trouvent habituellement acquéreur·euse auprès d’amateur·ices d’architecture. NDLR]. »

Serpentine Pavilion 2025 A Capsule in Time, designed by Marina Tabassum, Marina Tabassum Architects (MTA). Interior view. © Marina Tabassum Architects (MTA), Photo Iwan Baan, Courtesy: Serpentine.

Comme un refuge accueillant, le Pavillon sera cet été le théâtre des Park Nights – série de performances, lectures, concerts et débats. Des étagères intégrées aux parois renferment en outre une bibliothèque dédiée à la culture bengalie : littérature, poésie, écologie… « Notre intention était aussi de célébrer la diversité qui caractérise Londres, celle de ses habitant·es comme ses visiteur·euses de passage, en les rassemblant en un lieu unique. » Avec cette « capsule temporelle », Marina Tabassum inscrit sa démarche humaniste jusqu’au cœur de Londres, et donne à l’architecture une portée rare : un espace de lumière, de transition et de rencontre. Au cœur du Pavilion s’élève un jeune Ginkgo biloba, qui sera replanté dans Kensington Gardens à la fin de l’exposition. Ce geste réaffirme ainsi le lien entre architecture, mouvement et écosystème, une constante dans son œuvre : à l’issue de l’exposition, ses feuilles ses feuilles se seront teintées d’or, prolongeant, hors les murs, la réflexion sur le temps si chère à Tabassum.

Serpentine Pavilion 2025 A Capsule in Time, designed by Marina Tabassum, Marina Tabassum Architects (MTA). Exterior view. © Marina Tabassum Architects (MTA), Photo Iwan Baan, Courtesy: Serpentine.

Marina Tabassum est architecte et enseignante, actuellement professeure à la TU Delft. Elle a notamment occupé la chaire Gehry à l’Université de Toronto (2022-2023) et enseigné à Harvard, au Texas, ainsi qu’au Bengal Institute et à l’université BRAC au Bangladesh.
En 2005, elle fonde à Dhaka son agence Marina Tabassum Architects (MTA), dont la pratique se distingue par une approche contextuelle, enracinée dans le climat, la culture, l’histoire et la géographie locale, tout en s’opposant aux logiques globalisées de l’architecture de consommation. MTA privilégie les projets auto-construits, sélectionnés avec soin, et limite volontairement leur nombre chaque année. Le studio mène également des travaux de recherche sur les effets du changement climatique au Bangladesh, en lien étroit avec des géographes, paysagistes et urbanistes, avec une attention particulière portée aux populations marginalisées et à l’amélioration de leurs conditions de vie.

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