Palais des congrès de Nancy, Centre Prouvé, 2014 @Olivier Dancy
Palais des congrès de Nancy, Centre Prouvé, 2014 @Olivier Dancy

Inclassable

Marc Barani, « Mon futur idéal réside dans la tension entre des contraires »

Cet été, la Cité de l’architecture & du patrimoine exposait, aux côtés de Frédéric Borel et Ibos & Vitart, le travail de Marc Barani, Grand Prix national de l’architecture en 2013. Ce n’est pourtant pas cette reconnaissance officielle qui a motivé l’invitation d’AA à l’adresse de l’architecte français né à Menton en 1957. Certes, les récompenses traduisent l’excellence d’un savoir-faire, mais en choisissant de confier la co-conception de son numéro de septembre à Marc Barani, la rédaction d’AA a d’abord souhaité partager sa réflexion – qui s’extrait sans effort des manichéismes contemporains –, son engagement – qui ignore encore qu’il a fait partie des artisans de la loi LCAP (relative à la liberté de création, à l’architecture et au patrimoine) du 7 juillet 2016 –, et aussi (re) découvrir son architecture, qui, à la mesure de la pensée dont elle est issue, ne se résume pas à un dessin, aussi éloquent soit-il, mais répond à un ensemble d’enjeux parfois contraires. « La vérité est hybride », se plaît à répéter l’architecte. Marc Barani a dressé, en réponse aux questions d’AA, un lexique tout personnel, situant la vocation publique de l’architecture dans une dialectique héritages/innovations dont les architectes sont, in fine, les seuls garants.

TERRITOIRE
En mai dernier, dans un discours prononcé à l’occasion de la remise du prix Pritzker à Arata Isozaki, Emmanuel Macron a dit : « Je crois qu’ il n’y a pas beaucoup d’arts qui soient plus politiques que le vôtre au sens le plus strict du terme. Être architecte, c’est être celui ou celle qui décide d’organiser la vie dans la cité, celui qui fait de la politique au sens le plus trivial du terme, celui qui essaie d’en définir les règles. » De nombreux élus ne pensent pas la dimension politique de l’architecture ; il est donc permis d’espérer, à partir de cette déclaration, une mise en mouvement. D’autant plus que la spécificité de la France est la loi du 3 janvier 1977 qui instaure l’intérêt public de l’architecture et qu’elle mériterait d’être régénérée. Un maillage comme celui tissé par les conseils d’architecture, d’urbanisme et de l’environnement (CAUE), les directions régionales des affaires culturelles (Drac), les concours, la Mission interministérielle pour la qualité des constructions publiques (MIQCP)… tous ces moyens que s’est donnés l’État pour irriguer le territoire se sont usés et doivent être revitalisés. Il y a l’usure du temps, mais aussi la mission même de l’État, qui s’est déportée, puisque les caisses sont vides, de la mise en oeuvre de politiques publiques à l’encadrement de l’action privée. Ce n’est désormais plus l’argent public qui est le vecteur essentiel de l’aménagement du territoire. Comment revenir à l’État régulateur ? Si les grandes métropoles dotées d’établissements publics d’aménagement parviennent à s’autogérer, la question se pose pour les plus petits territoires. Dans ce qu’a dit notre président, et il en a conscience, il y a une ombre jaune, ces pans entiers du territoire qui sont laissés pour compte.

INFRASTRUCTURE
Le terminal des tramways de Nice [65 000 m2 réalisés en 2007, ndlr] est à la fois un projet d’architecture et d’infrastructure. C’est très rare de pouvoir intégrer les deux domaines et de combiner leurs puissances pour changer la vie d’un quartier. Un territoire est avant tout irrigué par les infrastructures et ce sont elles qui sont les plus durables sur le temps long. Les voies romaines sont toujours à leur place. Dans le cadre de la biennale d’architecture Agora, à Bordeaux, en 2012, nous avons étudié le degré de pérennité des structures urbaines lorsqu’elles sont soumises à des transformations rapides, voire violentes, comme des destructions dues à la guerre, à la colonisation ou à la spéculation immobilière effrénée, dans cinq villes : Beyrouth, Dresde, Dubaï, Ouagadougou, Rotterdam. On observe une règle, quelles que soient les cultures : les voies, leurs tracés et les infrastructures restent inchangés, le parcellaire, quant à lui, se reconfigure lentement alors que les bâtiments, eux, changent très vite. Les infrastructures sont donc l’armature essentielle du territoire. Le Grand Paris n’a‑t‑il pas été lancé avec le Grand Paris Express, un projet d’infrastructure ? Et si le village olympique des JO 2024 est implanté à Saint-Ouen, n’est-ce pas en vertu de la nouvelle gare Saint-Denis Pleyel ? L’hybridation entre infrastructure et architecture est essentielle pour faire face à la densité urbaine ou aux complexités topographiques et géographiques. Aujourd’hui, malheureusement, architecture et infrastructure sont deux champs disciplinaires qui communiquent très mal et la commande continue de les considérer comme distincts.

Retrouvez l’intégralité de cet article écrit par Emmanuelle Borne dans le numéro 432 d’AA, disponible sur notre boutique en ligne.

École nationale supérieure de la photographie, Arles, 2019 @RSI Studio
École nationale supérieure de la photographie, Arles, 2019 @RSI Studio

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