Architecture

Global Awards for Sustainable Architecture 2025 : génie globalisé

Engagement social, défis économiques, intelligence constructive : depuis 2006, le mantra des Global Awards for Sustainable Architecture n’a cédé aucun de de ses principes, récompensant des architectes « engagés dans le développement durable et une approche participative et expérimentale de la conception, tant dans l’hémisphère nord que sud ». Invitée à Venise pour la remise des prix, AA brosse le portrait de ces praticien·nes à suivre de près.


Salima Naji, Ait Ouabelli Cultural centre, 2018 © Mehdi Benssid

Chaque année, depuis la fondation du prix par l’architecte Jana Revedin, les cinq agences récompensées se voient louer leur pratique engagée, parfois hors-norme, en tout cas vertueuse, par ce que d’aucuns (parmi AA) ont pu voir comme une « antichambre du Pritzker », comme nous le rappelions à l’occasion de l’édition précédente : « Diébédo Francis Kéré, Wang Shu et Lu Wenyu, Alejandro Aravena, Balkrishna Vithaldas Doshi, Lacaton & Vassal ont tous·tes reçu le Global avant le Pritzker. » (AA n° 461, juin-juillet 2024).

L’édition 2025, placée sous la thématique « Architecture is construction » a auréolé : Salima Naji, anthropologue et architecte (Maroc) ; Hoang Thuc Hao, architecte, fondateur de 1+1>2 (Vietnam) ; Marie and Keith Zawistowski, architectes fondateurs de onSITE (France et États-Unis) ; Marie Combette et Daniel Moreno Flores, architectes et fondateurs de l’agence La Cabina de la Curiosidad (France et Équateur) et Andrea Gebhard, géographe, sociologue, urbaniste et paysagiste, fondatrice de mahl gebhard konzepte (Allemagne) [de gauche à droite sur le visuel ci-dessous].


                  « Il ne s’agit pas d’un club ni d’une association, mais d’une utopie collective. » C’est en ces termes que Salima Naji évoquait la communauté d’architectes primé·es par le Global Award. Installée à Tiznit, au sud d’Agadir, cette native de Rabat est désormais une figure incontournable de la préservation du patrimoine marocain (voir le portrait que nous lui consacrions dans le n° 449, juin-juillet 2022). Depuis plus de vingt ans, elle milite pour la renaissance d’une architecture vernaculaire, à rebours d’un code de l’urbanisme qui plaçait le béton en toute puissance, « saccageant pans entiers des paysages de l’Atlas et du Sud marocain ». Elle a mené des chantiers emblématiques, au chevet, par exemple, de greniers collectifs ou encore de la Kasbah Aghenaj, une forteresse à Tiznit, aujourd’hui théâtre en plein air, qui accueille également un centre d’interprétation du patrimoine et un centre d’archives. Le jury a salué, à juste titre, que « son œuvre prouve qu’en réunissant toutes les parties prenantes – clients, autorités, artisans, professionnels, habitants et utilisateurs – il est possible de créer des projets à la fois inclusifs et inspirants ». Lors de la remise du prix, Salima Naji a tenu à louer l’engagement de Jana Revedin et Marie-Hélène Contal, architecte et doyenne de l’École Spéciale d’Architecture (Paris) et co-autrice des livres sur le Global Awards for Sustainable Architecture, deux femmes qui, selon l’architecte, « ont l’œil pour déceler les architectures de demain et sans qui ces modèles resteraient sans doute confidentiels ».

© David Goeury

Revitalisation de la citadelle d’Agadir Oufella, région du Souss-Massa, Maroc
« La nouvelle esplanade à l’entrée de la kasbah, avec de nouveaux équipements publics et leurs murs antisismiques, une technologie améliorant un composite vernaculaire de maçonnerie sèche et de chaînages en bois. »


                  Construire local. C’est le même engagement qui habite l’architecte et chercheur basé à Hanoï, au Vietnam, Hoang Thuc Hao. Diplômé de la faculté d’architecture et d’urbanisme de la Hanoi University of Civil Engineering en 1992, il obtient un diplôme de troisième à l’université polytechnique de Turin en 2002 et débute son activité dès les années 2010. Son territoire est, lui aussi, celui des zones rurales – souvent défavorisées. « La campagne est l’avenir de la ville » clame celui pour qui les notions de solidarité, de co-construction et d’énergie sociale sont au cœur de sa pratique, avant et pendant le projet. « Dans la plupart des régions minoritaires, les habitants héritent de l’expérience de leurs ancêtres et construisent leur propre architecture. Ils possèdent d’énormes réserves culturelles qui contribuent à la diversité de l’humanité. » En témoigne la maison communautaire de Ta Phin, livrée en 2013, qui accueille des espaces d’exposition, une bibliothèque, un centre d’information dans une structure en pierre, briques de terre crue, bois recyclé et bois de pin local. « L’image du bâtiment s’inspire du foulard rouge traditionnel des femmes Dao et du dessin des montagnes. » Plus récemment, en 2021, il a livré avec son agence 1+1>2 Architects, le centre communautaire de Lam Son, dans la province de Thanh Hóa abritée dans une structure combinant bambou et béton et conçu en collaboration avec la population locale.

© Vu Xuan Son. 1+1>2 Architects

Maison Communautaire de Cẩm Thanh, Hội An, province de Quảng Nam, Vietnam
« Bâtie à partir de matériaux bio-sourcés (guột, feuille végétale, bois, maçonnerie), cette maison utilise des cloisons mobiles pour moduler les espaces selon les usages. Le projet est conçu pour favoriser la ventilation naturelle et intégrer la communauté au cœur de la gestion des lieux. Elle accueille expositions, formations, événements – un outil de résilience écologique et sociale dans une région côtière sensible aux typhons. »


                  Actif·ves en France et aux États-Unis, les fondateur·rices de onSITE, Marie et Keith Zawistowski, ont quant à eux été particulièrement loués pour leur foi en une architecture capable d’« améliorer la vie des autres ». Le jury a félicité « leur engagement militant à redéfinir l’enseignement de l’architecture comme un processus d’apprentissage expérimental continu », au bénéficie des « right techs », le bon matériau, la bonne technique, au bon endroit. Formé·es tous deux au Rural Studio en Alabama – un atelier de projet au sein de l’école d’architecture de l’université d’Auburn aux États-Unis, créé en 1992 et particulièrement investi dans l’apprentissage par la pratique, au contact de territoires parmi les plus pauvres du pays – Marie et Keith Zawistowski sont également co-créateur·rices du designbuildLAB. À l’origine installé aux États-Unis, ce studio a depuis pris ses marques au sein de l’École nationale supérieure d’architecture (Ensa) de Grenoble et permet, depuis 2015, aux étudiant·es de collaborer avec des acteur·rices de la construction – communes, ingénieur·ses – pour concevoir des projets démonstrateurs à échelle 1. « Le cœur de notre approche consiste à trouver le juste équilibre entre vie privée, vie professionnelle et vie universitaire », ont souligné les architectes lors de la remise du prix en mai dernier.

© Maxime Verret

Restaurant scolaire Jean Rostand, Bourgoin-Jallieu, Isère, France
« Un tilleul mature à feuilles caduques à l’est protège le bâtiment du soleil matinal pendant les mois les plus chauds, tout en lui permettant de pénétrer profondément dans les espaces de restauration pendant l’hiver. »


                  Expérimenter à échelle 1, la leçon est appliquée à la lettre par Marie Combette et Daniel Moreno Flores, architectes, fondatrice et fondateur de La Cabina de la Curiosidad, installée à Quito en Équateur. Pour le jury, il a s’agit de rendre hommage à « un travail audacieux, dans un contexte politique et social difficile ». En interrogeant les pratiques de développement urbain contemporaines, les deux architectes s’engagent, au sein de leur « cabinet de curiosité », à préserver la culture existante. Diplômée de l’Ensa de Nancy, Marie Combette obtient son « habilitation à la maitrise d’œuvre en son nom propre » au sein de l’Ensa Grenoble avec le thème « Arquisanat : la relation entre architecture et artisanat ». Une pluridisciplinarité partagée par son associé, Daniel Moreno Flores, diplômé en architecture auprès de l’Universidad Católica del Ecuador et titulaire d’un master en Advanced Architectural Design de l’université de Buenos Aires. À eux deux, ils conçoivent depuis 2019 des projets qui dépassent l’échelle structurelle pour penser l’urbain, le territoire et ses ressources – gestion de l’eau, recyclage, valorisation des écosystèmes locaux. Centres communautaires (comme le centre d’artisanat Chaki Wasi de la communauté Shalalá, Zumbahua) ou maisons d’hôte (comme la Cholan Nests House, Perucho), la démarche de La Cabina de la Curiosidad tient à révéler « l’immense potentiel d’un environnement naturel encore sauf ». Pour Marie Combette, l’architecture doit être « un acte de résistance partagé par les architectes du monde entier, que vient amplifier ce prix ».

Centre d’artisanat Chaki Wasi de la communauté Shalalá, Zumbahua, province de Cotopaxi, Équateur
« Vue intérieure du ChakiWasi, protégé par un couvert intérieur. Son ossature régulière assure une répartition homogène des boutiques-ateliers. »


                  Géographe, sociologue, urbaniste et paysagiste, Andrea Gebhard a rejoint, dans les années 1990, les services de l’aménagement urbain de la ville de Munich et en 2006, elle fonde son agence, gebhard-konzepte. « Son combat pour équilibrer harmonieusement nature et urbanisation est exemplaire », a souligné le jury, rappelant que l’urbaniste défend l’obligation d’inclure un « plan vert » dans chaque projet d’urbanisme, militant ainsi pour que les enjeux environnementaux soient intégrés dès les premières étapes de la planification. Elle a notamment signé le parc paysager de Baumkirchen à Munich, en Allemagne, dessiné sur une friche ferroviaire et devenu théâtre en plein air, au pied d’un nouveau quartier orienté vers le parc. « Comment préserver notre démocratie ? En permettant à l’ensemble de la population – et pas seulement aux plus riches – de profiter de la ville », assène-t-elle lors de la remise des prix.

Parc paysager de Baumkirchen, Munich, Allemagne
« Vue aérienne du nouveau quartier. Le parc et l’ancienne plaque tournante des locomotives, qui sera transformée en en théâtre de plein air ; à l’arrière-plan, le nouveau quartier, densifié et orienté vers le parc. »


Pour en savoir plus, consultez le catalogue de la dernière édition des Global Awards for Sustainable Architecture
Marie-Hélène Contal, Jana Revedin, Architecture is Construction, éditions Architangle, 2025

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