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Écrans urbains à Bordeaux

Organisé par le centre d'architecture arc en rêve à Bordeaux, en partenariat avec le cinéma Utopia et L'Architecture d’Aujourd’hui, le programme « Écrans urbains » explore les liens entre architecture et cinéma. Pour cette première édition de l'année 2021, c'est le film Les bruits de Recife, du réalisateur brésilien Kleber Mendonça Filho, qui est à l'honneur.

La projection du film sera suivie d’une rencontre avec son réalisateur Kleber Mendonça Filho, animée par Christophe Catsaros, critique d’art et d’architecture, le 25 janvier, à 20h, au cinéma Utopia, Bordeaux.

Christophe Catsaros

Que reste-t-il des rapports humains racialisées dans les sociétés urbaines qui ont tourné le dos à l’économie rurale coloniale ? À première vue, pas grand chose. Des souvenirs rapportés, des hantises, des blessures oubliées à peines discernables. La classe moyenne supérieure a cela de fabuleux de savoir refouler les paradoxes qui la sous-tendent. Elle a renoncé aux plus iniques de ces avantages, tout en veillant à conserver ces principaux privilèges, comme l’emprise sur la propriété immobilière, l’entre-soi ou encore un certain droit à l’oisiveté. Ce faisant, le bourgeois est devenu furtif. Il se marie par amour plutôt que par intérêt, déjeune avec sa femme de ménage, la laisse le tutoyer et tolère même ses enfants, sans jamais se demander si le fait même d’en avoir une ne constitue pas un atavisme de classe.

Les bruits de Recife est un tableau urbain de cette condition paradoxale de la classe moyenne brésilienne gentrifiée, devenue de fait antiraciste, parfois même progressiste mais toujours aussi peu disposée à se défaire de certains réflexes de classe. La rue de ce quartier aisé de Recife est typique de ces portions de ville en train de se replier sur elles-mêmes par la prolifération des tours condominiums fermées et ultra sécurisées. Elle reste ouverte le temps du film, mais plus pour longtemps. Le propriétaire, un sympathique grand-père à la barbe blanche qui possède la majeure partie de la rue, étudie l’offre du promoteur pour une nouvelle tour, et son petit-fils fait visiter un très bel appartement à louer. Plus qu’une intrigue, c’est l’ambiguïté des rapports entre maîtres et serviteurs que cherche à dépeindre Kleber Mendonça Filho. Aux postures démonstratives, il préfère les soupçons, les indices, le hors champs, les obsessions mal dissimulées, les glissements qui attestent d’un état dont on aimerait s’être débarrassé. Les sons de Recife sont certes le ressac de la mer qui n’est pas loin, mais de plus en plus l’aboiement qui prolonge l’insomnie, les rumeurs sur l’insécurité, les sons indistincts qui hantent ce quartier apaisé.

Recife filmé par Kleber Mendonça Filho ressemble terriblement à certains quartiers de nos villes gentrifiées qui reconduisent inconsciemment les usages de la bourgeoisie sans en assumer forcément l’étiquette. La ville telle qu’il l’enregistre est, comme tout personne qui n’assume pas ou ignore son passé, dans l’attente de l’analyse, ou de l’incident qui va lui permettre de surmonter ses névroses.


Mardi 25 janvier 2022, 20h, cinéma Utopia
Les bruits de Recife de Kleber Mendonça Filho, 2013 (131’)
Séance présentée par Christophe Catsaros en présence du réalisateur Kleber Mendonça Filho.

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