Les objets d’AA #6
Architecture, arts plastiques, sciences mais aussi design : avec les « Objets d’AA », la rédaction poursuit son exploration dans le monde des designers et maisons d’édition qui, chaque jour, conçoivent et développent de nouvelles solutions pour nos intérieurs : ci-dessous, quelques morceaux choisis, objets ingénieux et poétiques qui forgent, chacun à leur manière, l’histoire du design contemporain.
Guillaume Ackel

Une main de marbre dans un gant de velours, fauteuil Snow par Note Design Studio pour La Chance
Snow est un système de canapé modulaire composé de 2 éléments – un module droit et un module arrondi à 30° – pouvant être combinés pour créer une infinité de formes. Présenté pour la première fois en 2022, le canapé s’était habitué à se voir tapissé de velours ou de tissu bouclettes. À l’occasion de l’inauguration du nouveau showroom de l’éditeur La Chance (60 rue de Richelieu 75002 Paris) Snow, dans sa version fauteuil, a chaussé une élégante paire de pieds plaqués de marbre, une nouvelle déclinaison qui offre une toute nouvelle silhouette à cette assise. La rencontre entre l’assise moelleuse aux finitions délicatement plissées et le piètement massif, sculptural, puissant, offre un contraste signature, que l’on aime tant chez La Chance.
www.lachance.paris
notedesignstudio.se

Héritage imposé, vase Péyi par Florian Dach et Dimitri Zephir (dach&zephir)
Depuis 10 ans, le studio dach&zephir (Florian Dach et Dimitri Zephir) explore par le design l’histoire des Antilles dans le cadre d’un projet de recherche intitulé Élòj kréyòl (« éloge créole »). Pour définir la culture créole, les deux designers empruntent les mots du poète et écrivain guadeloupéen Ernest Pépin qui évoque une construction « à partir de restes », ceux d’un passé esclavagiste imposé comme héritage. De ce travail naîtront une douzaine d’objets réinterprétant la tradition créole, explorant les ressources locales, les savoir-faire vernaculaires. Le vase Péyi, conçu dans le cadre d’une commande publique du Centre national des arts plastiques, valorise justement un métier en voie de disparition : celui de « tailleur d’essentes », un fabricant de bardeaux de bois. Dans les Caraïbes françaises, cet artisanat était autrefois utilisé dans près de 80 % des constructions traditionnelles, tandis que l’essor de l’utilisation du béton a précipité son déclin comme celui de nombreux autres métiers du bois. Aujourd’hui, seule la famille Kamoise d’Acomat, à Pointe-Noire (capitale du bois de la Guadeloupe), perpétue ce savoir-faire, le studio dach&zephir leur rend hommage avec le vase Péyi. L’objet fut présenté le 11 septembre 2025 lors de la remise des Grand Prix de la création de la Ville de Paris ; Florian Dach et Dimitri Zephir ont reçu à cette occasion le Prix Engagement dans la catégorie « Design ».

De Copenhague à Tokyo, via Milan, la chaise Wabi par Giuseppe Bavuso pour Rimadesio
La chaise Wabi ponctue avec élégance la collection Modernity Flow dessinée par le designer Giuseppe Bavuso pour la maison italienne Rimadesio. Inspirée à la fois par la rigueur nordique et la poésie orientale, Wabi se distingue par un jeu subtil de cordes, de cuir et de bois, où la légèreté des lignes dialogue avec la chaleur des matériaux. L’assise conjugue exigence formelle et raffinement artisanal : chaque détail, du tressage au traitement du cuir, révèle un savoir-faire d’exception. Depuis sa création en 1956, Rimadesio est pleinement ancrée dans le district industriel du meuble de la Brianza, au nord de Milan. Les architectes connaissent la maison pour la qualité des systèmes modulaires – pour le séjour, les bibliothèques, les dressings – qu’elle conçoit et fabrique ; la collection de tables et d’assises imaginée par Giuseppe Bavuso permet à l’entreprise d’étoffer son catalogue.

Mettre les petites tasses dans les grandes, vaisselle Arno de Joe Colombo réédité par Arno Glass.
Conçue en 1963 par l’Italien Joe Colombo et fabriquée en verre pressé par la maison Italora, la série de vaisselle empilable Arno a rapidement inondé les intérieurs des années 1970 avant d’alimenter, aujourd’hui, brocantes et autres plateformes de revente en ligne. Aujourd’hui, l’entreprise coréenne Arno Glass, détentrice des droits de reproduction de ce design iconique, développe une collection plus haut de gamme, en cristal moulé. Lors de la première édition de Who’s Next Home (une nouvelle section dédié aux objets de décoration en plein cœur de l’incontournable salon de la mode Who’s Next), Arno Glass présentait une collection de tasses, bols et autres pots, fidèles au dessin de Joe Colombo, et dans une déclinaison de cristal transparent, coloré ou « givré ». Si les férus de bon design domestique continueront à chiner des tasses vintage, nul doute que les acheteurs du luxe se laisseront séduire par les interprétations cristallines d’Arno Glass.

Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme, collection AL13 par Vincent Eschalier et Mattéo Lécuru pour MVE-Collection
Il est des objets dont on oublie la présence tant la fonction prime sur la forme, tant l’usage « automatique » ne laisse pas de temps à la contemplation ; la poignée de porte est sans nul doute l’un d’entre eux. Conscients de cet incontournable, l’architecte Vincent Eschalier et son associé, le designer Mattéo Lécuru ont mis à profit leur talent pour ranimer cet invisible essentiel. Ici, point d’innovation formelle, mais un travail sur la matière et la texture : AL13.378 est une poignée de porte en aluminium recyclé (378 grammes d’aluminium de réemploi, récupéré sur les chantiers de curage urbains du Studio Vincent Eschalier), fabriquée par une fonderie des Yvelines. Ce travail de fonte a également vu naître d’autres pièces, du bouton de porte à la lampe de table. Pour la poignée, les aspérités de surface sont créées par la poudre de graphite, disposée dans le moule, qui ronge la fonte d’aluminium lorsqu’elle est coulée. Une encoche à la finition poli-miroir vient marquer l’objet d’une signature contemporaine.
mve-collection.com
vincenteschalier.com

De verre, de sauge et de nuages, table Feuille de sauge par Anaïs Fernon, Camille Sardet et Clémence Bondon
À Nanterre, se déroule enfin le grand chantier de réhabilitation des 18 « tours Nuages » dessinées dans les années 1970 par Émile Aillaud. Leur statut d’icônes architecturales tient en une poignée d’ingrédients : leur forme – la section prend la forme d’un nuage schématique –, leurs couleurs – une magnifique mosaïque en pâte de verre colorée imaginée par l’artiste Fabio Rieti habille les façades –, mais aussi leurs menuiseries – une myriade de fenêtres rondes, d’autres carrées aux coins arrondis, ou encore en forme de « feuille de sauge ». La réhabilitation thermique de cet ensemble immobilier nécessitant le remplacement de ces dernières, toutes en simple vitrage, se sont posées la question de la dépose et celle de la réutilisation de ces emblématiques ouvrants. Anaïs Fernon (architecte et designer), Camille Sardet (designer et plasticienne) et Clémence Bondon (architecte conseil en réemploi) se sont associées pour sauver une centaine de vitrages – ceux aux formes les connues, en feuille de sauge – en les transformant en tables. Présentée pour la première fois lors de la Paris Design Week, en septembre 2025, cette table est avant tout un humble geste de sauvegarde d’un fragment d’architecture, chargée d’histoire patrimoniale et artistique.
@anais.fernon
@camillesardet
@secondemain_architecture




