Va jouer dehors – Réparer la ville © Sébastien Normand
Va jouer dehors – Réparer la ville © Sébastien Normand

Actualités

Des abattoirs pour réparer la ville

Le 15 mai dernier, l’association « Va jouer dehors » organisait à Marseille, au sein des anciens abattoirs du quartier des Crottes, son deuxième événement, un « do tank » qui faisait suite au « think tank » de l’automne dernier. Objectif ? Réparer la ville.
AA reproduit ici le texte de Matthieu Poitevin. 

Sept villes : Lille, Nantes, Strasbourg, Saint-Étienne, Marseille et aussi Athènes et Beyrouth, portées par 11 ambassadrices et ambassadeurs et 70 personnes. Architectes, urbanistes, artistes, journalistes, cuisiniers palefreniers, menuisiers, écrivains, animateurs, promoteurs, élus, politiciens, musiciens, rêveurs… se sont réunis pour constituer « la plus grande agence internationale d’architecture du monde pour une journée ». Ils se sont retrouvés dans les anciens abattoirs du quartier des Crottes, magique ouvrage de nefs de béton, à la croisée des envies et des enjeux publics et privés.

Va jouer dehors – Réparer la ville © Sébastien Normand
Va jouer dehors – Réparer la ville © Sébastien Normand

Le défi

Concevoir cet événement dans un endroit si blessé, voué aux gémonies n’a rien d’anodin. Il eut été infiniment plus confortable, plus facile de se glisser dans un lieu tout à fait bien fini mais ici, tout avait été décrété comme impossible. Pas de mur, pas de porte, trop de gravas, trop de dangers, trop de tout pour faire quoi que ce soit. Alors pourquoi faire ça ici ? Pour démontrer que la première urgence est de lutter contre les idées préconçues et l’inertie de la technocratie. Pour montrer qu’il est urgent de lutter contre la ville aseptisée et standardisée. Qu’il est urgent de partager et de caresser ce lieu et, avant tout, de constater l’émotion que tout un chacun y ressent. Se réunir ici, ça n’est pas visiter un bâtiment massacré, c’est l’occuper pour l’habiter et lui offrir un avenir concret. Nous avons fait de cette réunion une éruption de plaisirs et d’intelligence libérés de la gangue de l’impossibilité. Il s’agit de faire d’un lieu où l’on abattait, un lieu qui sentait le sang et la mort, un lieu où l’on se bat, un lieu qui transporte, qui vit et qui respire des envies, des possibles, un début, une naissance. Ce lieu était fait pour tuer, nous l’avons transformé pour créer.

Avec

Ce qui se trame alors ne sera peut-être que le début d’un manifeste qui redonnera à l’architecture son sens premier : celui d’utilité publique. Les architectes doivent redevenir les porteurs d’idées de la ville à venir. Et ceux qui la produisent doivent le leur permettre. En somme, construire la ville sur la ville, en plus d’être la seule alternative pour respecter son patrimoine et bâtir sur les fondations léguées par le passé, est le meilleur moyen de proposer une construction qui maîtrise l’empreinte carbone et la transition écologique. L’identité ne se décrète pas, elle se forge sur le réel et le concret. Il s’agit de démontrer que la ville, prétendument confortable, est devenue conformiste. Pire, héritée de la charte d’Athènes et de son souci de rationalité, elle cultive des virus tout en aseptisant ses façades. Plus une rue, plus de hasards, elle ne se découvre plus ; elle se montre et se vend. La ville est considérée comme lieu de rapport — elle doit devenir territoire de récits. Si elle veut exister, elle doit redevenir un lieu d’expérimentation, de risque et d’aventure. Depuis trente ans, la ville est devenue le lieu de prédilection des producteurs ; elle doit être maintenant celle des auteurs et des réalisateurs.

Faire

La ville qui adviendra sera celle que nous ferons. Prenons le temps chaotique du moment comme un présent. Un appel pour faire, pour tenter, pour oser des utopies, pour vérifier par l’expérience, pour revendiquer le droit à l’erreur. Comment pouvoir encore prétendre avoir réponse à tout, tout le temps, comme le font ceux formatés à cet exercice alors qu’on ne peut même plus se projeter dans un temps court ?  Le présent nous oblige à dire : « je ne sais pas mais je dois essayer ».

Marseille

Marseille possède tout ce qu’il faut pour cela. Elle est au pied du mur d’une situation financière exsangue, elle est pauvre mais avec une identification forte. Son sol est jonché de friches fatiguées mais puissantes. Identifions des lieux spécifiques qui pourraient devenir les laboratoires architecturaux et urbains d’une ville faite de cas particuliers. Marseille, grâce à ses friches, deviendrait le fer de lance de l’anti-ville générique. Elle pourrait alors devenir pour cela, et seulement pour cela, la capitale de la France et permettait à ce qui fut jadis un pays novateur, de renouer avec une tradition d’excellence architecturale aujourd’hui perdue.

Agence foraine

La première règle que les projets doivent viser alors, est de redonner confiance en l’avenir, de lui permettre d’advenir. Il nous faut démontrer par notre propre activité que nous sommes en mesure de redonner vie au lieu dans lequel nous travaillons, aux lieux dans lesquels nous pourrons inviter d’autres structures à travailler. Architectes mais aussi graphistes, ingénieurs, plasticiens, maquettistes, galeristes sans oublier cuisiniers (car rien de bien ne se fait sans bien manger). Il faut aussi pouvoir organiser des événements, principalement pour refaire le monde — cela va de soi. Ainsi nous investirons tous ces lieux laissés-pour-compte, à l’abandon ou presque, qui ont juste besoin d’un peu d’amour et d’attention pour y installer notre activité et les autres structures précédemment citées ; un tiers-lieu, pour reprendre un mot à la mode, architectural et gastronomique, pour y réfléchir, produire et manger ensemble. C’est une mise en place provisoire, itinérante, presque foraine qui consiste à démontrer que l’architecte est le jardinier des villes. On vient, on plante les pousses, on les entretient, on vérifie que ça a pris et on passe le relai. Ne rien avoir, être de passage… c’est peut-être le meilleur moyen de transmettre.

Figure libre

Dès lors, comment ne pas imaginer que les pouvoirs publics ne voient pas dans cette démarche l’opportunité de permettre à « Va Jouer dehors » de porter un événement unique en son genre. Chaque année, Marseille accueillerait celles et ceux qui, dans leurs villes, à toutes les échelles, se démènent pour envisager et imaginer des solutions urbaines et architecturales concrètes. Chaque année, Marseille invitera les villes chaotiques, organiques et poétiques à présenter et réfléchir à un projet précis qui sera étudié et proposé le temps d’une journée ou deux. Ainsi « la plus grande agence internationale d’architecture du monde pour une journée » donnera naissance au plus grand atelier public de création urbaine pour deux jours entiers.

Le 15 mai dernier aura été la première étape de ce nouveau carrefour de l’architecture.

Matthieu Poitevin, architecte
Va jouer dehors – Réparer la ville © Sébastien Normand
Va jouer dehors – Réparer la ville © Sébastien Normand

Avec le soutien de :
Ingrid Taillandier, architecte | Christine Dalnoky, paysagiste | Florence Lipsky, architecte | Francesco Della Casa, architecte et journaliste | Fabrice Lextrait , restaurateur culturel | Anne-Sophie Kehr,  architecte et présidente des MAV | Marie Blanckaert , architecte et urbaniste |  Stephanie David, architecte | Youssef Tohmé, architecte et urbaniste | Aghis Pangalos, architecte |  Nicolas Détrie, agitateur citadin | Catherine Blondeau , écrivaine et directrice du théâtre le Grand T | Julien Beller, architecte, urbaniste et président du 6b | Pier Schneider , architecte| Alain Arnaudet, directeur de la Friche la Belle mai | Aurelien Lecina, conseiller relations institutionnelles, relations internationales et économie à la ville de Marseille| Daphné Charveriat, co-dirigeante de Marseille solution | Anne-Valérie Gasc, artiste | Marielle Macé, auteure et spécialiste de la littérature française | Olivia Fortin , adjointe à la ville de Marseille | Mathilde Chaboche, adjointe à la ville de Marseille en charge de l'urbanisme.
 

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