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AA à la Bap! : 4°C entre toi et moi

Jusqu’au 13 juillet 2025, la 3e édition de la Biennale d’architecture et de paysage d’Île-de-France tapisse la ville de Versailles d’expositions, de conférences, de journées d’études sous l’étendard « Ville Vivante ». Celleux qui seront passé·es à côté de ce rendez-vous pourront se rattraper : AA a suivi les temps forts de l’événement. Focus notamment sur l’exposition 4°C entre toi et moi, pensée par les architectes Sana Frini et Philippe Rahm comme un catalogue de solutions architecturales inspirées des zones au climat subtropical.


Chloé Carissimi

© Rafael Gamo

11:30:53 SEOUL: 43° –  11:34:07 MEXICO CITY: 41° –  11:39:08 BAGDAD: 53°  – 11:42:51 PARIS: 44°

À l’image d’un radio-réveil qui rappelle chaque matin la réalité du quotidien, ces segments numériques défilent sur d’imposants rideaux orangés. Dans ce sas atmosphérique installé dans la Grande Nef de l’École nationale supérieure d’architecture de Versailles, la réalité rappelée est celle d’un futur proche à 4°C supplémentaires, celle d’un horizon 2100 où la chaleur s’emparera des villes partout dans le monde. Quand on sait les canicules et les sécheresses dévastatrices que nombre d’entre elles subissent déjà aujourd’hui, l’inquiétude grimpe quant à l’avenir de la vie en milieu urbain. C’est dans cette ambiance que l’on aimerait dystopique que s’ouvre l’exposition 4°C entre toi et moi.

Un regard tourné vers le sud 

Quelles pistes peuvent être explorées par celles et ceux qui pensent et construisent la ville ? Pour Sana Frini et Philippe Rahm, co-commissaires de l’exposition, la réponse est claire : les solutions se trouvent au sud. Les projections sont formelles. Dans 75 ans, le climat tempéré de villes comme Paris laissera place à un climat subtropical, proche de celui du nord de l’Afrique, du Mexique ou encore du sud de l’Espagne. Il semble assez logique, qu’architectes, paysagistes et professionnel·les de l’aménagement urbain déportent leurs regards vers ces latitudes au climat déjà chaud afin de s’inspirer – avec toute l’humilité que cela implique – des savoir-faire, des techniques et des modèles architecturaux optimisés depuis des siècles pour permettre à des populations entières de vivre avec de telles températures. C’est précisément l’objectif de cette exposition, qui affirme que ce regard pourrait guider les solutions pour adapter les villes du nord à ces nouvelles réalités climatiques.

Rafraîchir la ville

Avant même d’entrer dans la salle d’exposition, le ton est posé : les architectes, paysagistes et étudiant·es participant à l’exposition cherchent des solutions pour rafraîchir la ville. C’est en effet ce que les visiteur·euses pouvaient deviner à la vue des deux pavillons trônant au centre de la Cour des Fontaines attenante à la Grande Nef. Le « Trianon de boue », signé Andrés Jaque, se compose de dolia, ces grandes amphores à taille humaine en terre cuite, matériau connu pour ses propriétés thermorégulatrices. Juste derrière se trouve « Atrapaviento», une installation aux allures de tente futuriste conçue par l’agence mexicaine Colectivo C377, qui explore les potentialités de la convection de l’air grâce à un système de cheminées solaires. Celles-ci accentuent l’ascension de l’air chaud, ce qui permet de faire baisser la température en contrebas, où des balançoires invitent les visiteur·ices à se reposer.

© Rafael Gamo

Passé, présent au service d’un futur

4° Celsius entre toi et moi est une exposition en trois temps. Le passé s’incarne dans les maquettes, dessins et objets divers disposés sur des étagères, témoignant de la richesse de l’architecture vernaculaire d’avant l’ère de la climatisation, notamment dans les régions subtropicales et méditerranéennes. Au centre de l’exposition, des architectes contemporain·es présentent leurs projets pour habiter la ville en 2100 inspiré·es par ces savoir-faire intemporels. Enfin, le long d’un grand mur, sont exposées des projections imaginées par des architectes, critiques, historien·nes et philosophes. Le tout esquissant un Paris en 2100 qui aurait su tirer les leçons de ces solutions architecturales. Notons notamment une cartographie par l’architecte Gael Biache d’un Paris dont la surface serait repeinte à 30% de peinture blanche pour y réduire de 2 degrés la température.

La nature comme solution

Eau , Terre, Air. La scénographie de l’exposition 4° Celsius entre toi et moi, ainsi organisée autour de ces trois éléments, explore un large éventail de solutions architecturales pensées pour faire face à ces inévitables chaleurs. Chacun d’entre eux est abordé selon ses potentialités mais aussi ses défis et risques associés.
Si l’or bleu offre en effet des possibilités de rafraîchissement (notamment par évaporation), elle est surtout un bien de plus en plus rare, au cœur de crises humaines et climatiques majeures. Une ambivalence que l’agence madrilène Husos Arquitecturas parvient à dépasser avec sa proposition de façade végétalisée alimentée par les eaux grises. Ce prototype ingénieux relève le double défi de rafraîchir naturellement l’habitat tout en apportant une réponse concrète à la sécheresse qui sévit fortement en Espagne aujourd’hui et assurément tout autant, demain, en France. « L’eau recyclée nourrit les plantes, qui agissent comme un coussin thermique : elles rafraîchissent naturellement la maison pendant les saisons chaudes et conservent la chaleur en hiver », expliquent les architectes.

GREYWATER-FED ED.GAR. FACADE © Husos Arquitecturas © Rafael Gamo

Au centre de l’espace d’exposition central trône une installation singulière en forme de silo de terreau, surmontée d’une vitre que chaque visiteur·se peut ouvrir à sa convenance. Il s’agit de « Trombe d’été », conçue par l’agence barcelonaise Takk, qui exploite les propriétés rafraîchissantes de la terre et de l’air selon le principe du mur Trombe. Les commissaires de l’actuel Pavillon Catalan de la Biennale de Venise présentent ce prototype ainsi : « Un mur épais de terre compactée absorbe la chaleur de la journée, l’empêchant d’y pénétrer. Des évents situés en haut et en bas créent un flux d’air, permettant à l’air chaud de s’échapper et à l’air frais d’entrer. Pendant la nuit, le mur évacue toute la chaleur emmagasinée vers l’extérieur, tandis que la porte et les fenêtres restent ouvertes, ce qui assure la circulation de l’air et maintient la fraîcheur à l’intérieur ». 

En somme, 4°C entre toi et moi est une exposition rafraîchissante qui aborde les enjeux architecturaux et urbanistiques liés au dérèglement climatique. Sans être alarmiste, elle propose des pistes concrètes, nourries par les savoir-faire vernaculaires issus de régions déjà confrontées à des climats chauds. Une démarche qui invite à anticiper plutôt qu’à subir — et ainsi construire et habiter la ville autrement.

Affiche de l’exposition «4°C entre toi et moi» dans le cadre de la Bap!

4°C entre toi et moi
à l’ÉNSA Versailles
5 avenue de Sceaux, 78000 Versailles
→ Jusqu’au 13 juillet 2025
Plus d’informations sur le site de la Bap!

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