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Ball Theater: son, fiction, occupation

Le texte qui suit, co-écrit par l'historienne de l'art Carlotta Darò et l'architecte Nicolas Tixier, est la préface du numéro spécial de L'Architecture d'Aujourd'hui qui témoigne des différents événements et interventions sur le thème du Son programmés au sein du Pavillon français de la Biennale d'architecture de Venise 2023, et particulièrement le projet Radio Utopia.

Lancée en 1977 par la NASA, la sonde spatiale Voyager 1 contient un disque d’or avec The Sounds of Earth (« Les sons de la Terre »), un recueil d’extraits venant du monde du vivant, des musiques et de discours condensant une interprétation de l’histoire humaine sur Terre, pouvant rejoindre d’autres éventuelles civilisations galactiques. Un sentiment d’apocalypse imminente accompagne les mots du président Jimmy Carter, gravés sur le disque : « Nous essayons de survivre à notre temps de sorte que nous puissions vivre un peu dans le vôtre. » Au temps d’une éco-anxiété qui s’impose, le disque d’or flâne encore dans l’espace interstellaire. Objet science fictionnel du passé, il nous projette vers un futur que nous continuons à imaginer.

Radio Utopia a occupé le Ball Theater pendant cinq jours au mois d’août 2023 s’inscrivant dans la proposition du pavillon français d’une architecture comme réceptacle de vie. Conçu comme un laboratoire sonore et une antenne radio, Radio Utopia a ouvert une plateforme de réception et de diffusion à partir de discussions, témoignages, sons, musiques, installations. Le choix de la radio a permis d’interroger les conditions socioculturelles d’une manifestation comme la Biennale d’architecture, d’un cercle restreint de visiteurs au mois d’août à Venise.

Le rayonnement radiophonique est une parabole, mais aussi une manière concrète pour atteindre par la captation sonore des ailleurs et des altérités possibles. Il offre aussi la possibilité de prolonger une manifestation au-delà du lieu physique et d’une temporalité éphémère. Radio Utopia a laissé une trace audio dans un recoin de la toile mondiale, pour une durée indéterminée. Ce numéro spécial de L’Architecture d’Aujourd’hui revient en partie sur la matière produite pendant cette semaine, tout en l’inscrivant dans le projet plus vaste du Ball Theater, avec ses différents acteurs et auteurs. La matière recueillie est transformée et adaptée au support du journal. Entre les différents formats, article, carte blanche, propos oral et entretien retranscrits, les contributions de cette publication poursuivent les moments d’échanges, les plateaux radio et les propositions artistiques qui ont eu lieu sur place et en dehors.

C’est par le thème de la fête que ce numéro s’ouvre. En reprenant la métaphore de la fête comme cycle, comme époque, comme histoire qui se déroule dans un avant, un pendant et un après (voir l’entretien entre OFFICE Kersten Geers David Van Severen et le studio Muoto), le sujet engage le rôle social et politique inhérent à l’architecture. D’une part le besoin inné de vivre et de célébrer collectivement, d’autre part l’appel à questionner l’ordre social que ce rituel exige. Il n’y a pas de fête sans musique, danse ou expression de joie criée. La fête convoque également la dimension du sonore. Plusieurs auteurs reviennent sur le son comme objet de recherche, comme exploration esthétique et architecturale, comme médium de communication et tout simplement comme expression de vie.

Le sonore incarne aussi l’idée d’occupation, d’agent atmosphérique qui remplit le conteneur architectural à un temps donné. Il arrive comme il repart, sans laisser de trace sur place. La nature du sonore participe au désir de libération de l’imaginaire mis en avant par les architectes du pavillon. Par la parole et la narration, l’exploration de projets visionnaires dans la tradition du récit utopique et dystopique et la fiction comme matière d’inspiration pour l’architecte, est au centre d’autres contributions et réflexions du numéro.

Enfin, garder en filigrane la matérialité du projet, de l’architecture, fonde l’ensemble de ces propos. Tout en touchant à une variété d’approches disciplinaires des auteurs, des voix invitées, ce numéro spécial garde le projet et l’objet du pavillon, sa proposition architecturale, au centre du développement et de son iconographie. Les lectures possibles et les contributions découlent de la nature hybride du pavillon autant architecture que scénographie, ou simple structure. À la fois vecteur de nombreuses références théoriques, de la gravité du projet d’autonomisation en architecture par l’évocation de la sphère à l’icône pop de la boule à facettes, sa nudité et sa frugalité permettent de questionner la tension entre projet spéculatif et réalité construite. Il souhaite ouvrir une réflexion sur l’état de l’architecture aujourd’hui.


Rendez-vous sur notre boutique en ligne pour découvrir le numéro spécial de L'Architecture d'Aujourd'hui consacré au Ball Theater du Pavillon français de la 18e biennale internationale d’architecture de Venise.
© Manon Genet

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