Cinéma

L’architecture à l’écran : Je suis la nuit en plein midi de Gaspard Hirschi

Le cinéma d’art et d’essai Utopia, au cœur de Bordeaux, propose un cycle de soirées-débats orchestrées par le critique d’art et d’architecture Christophe Catsaros. Après une première rencontre, en février dernier, consacrée au film E.1027 – Eileen Gray et la maison en bord de mer (Das Kollektiv für audiovisuelle Werke GmbH, 2024), ce deuxième rendez-vous d’un cycle qui explore le langage architectural par le biais des images en mouvement aura lieu le 15 septembre 2025 et mettra à l’honneur le documentaire Je suis la nuit en plein midi (Les Films de l’Œil sauvage, 2025), réalisé par Gaspard Hirschi.


Christophe Catsaros

L’anachronisme a cette étrange capacité à mettre la réflexion en mouvement. En architecture il questionne tout à la fois chacune des époques qui le constituent, et le geste qui les fait se télescoper. En cela il est un acte fondamentalement critique.

Quand Gaspard Hirschi, en pleine sortie de la crise du Covid, décide de lancer un Don Quichotte monté et en armure, à l’assaut de Marseille, il sait plus ou moins ce qui peut advenir. Il sait que ce violent télescopage d’un personnage romanesque dans une métropole brutale va révéler des choses – sur le cinéma en général et sur la ville représentée en particulier. Il sait que la situation qu’il provoque va exposer la deuxième ville de France pour le mur qu’elle est en train de devenir : mur extérieurs des gated communities et des voies privatisées qui représentent plus de 28 % de la voirie totale, mur intérieur d’une ville scindée au-delà de toute possibilité de conciliation, et mur cognitif des nouvelles socialités qui ne se vivent plus que par écrans interposés.

Quand de surcroît il demande à Manolo, fondateur du Théâtre du Centaure, d’incarner le Chevalier de la Manche, il se doute que la confrontation ira bien au-delà de la simple mise en scène. Car Manolo ne peut pas jouer Don Quichotte. C’est foncièrement impossible pour lui – tant il est, au sens fort du terme, ce chevalier dont l’idéalisme psychotique le pousse aux marges de la raison.

Documentaire et fiction à la fois, Je suis la nuit en plein midi s’amuse à basculer d’un registre à l’autre, un peu comme dans la tête du personnage de Cervantes, les choses ne sont jamais tout à fait l’une ou l’autre.

Ce basculement met lui-même les choses en mouvement. À commencer par notre disposition à être persuadés : il s’appuie sur notre adhésion au registre du réel pour enfoncer la pointe de l’empathie là où nous ne l’aurions jamais laissée pénétrer si nous étions sur nos gardes, comme face à une fiction. Gaspard Hirschi mélange les genres – et c’est là que les choses deviennent sublimes. Sans compter que ce jeu entre les registres porte la critique de la situation urbaine marseillaise à un degré qui ni le documentaire, ni la fiction ne pourraient atteindre seuls.

Les choses basculent, tournent presque, comme un système instable qui trouve dans l’oscillation régulière le mécanisme d’un mouvement perpétuel. Et puisque ce qui tourne n’est autre que notre propre capacité à percevoir et comprendre une situation urbaine, il n’est pas exagéré de dire que Gaspard Hirschi fait du spectateur le moulin contre lequel Don Quichotte va pouvoir lancer sa charge.

Gaspard Hirschi, Je suis la nuit en plein midi, Les Films de l’Œil sauvage, 2025


Cinéma Utopia
5 place Camille Jullian, 33000 Bordeaux
Le 15 septembre 2025
Séance présentée et débat modéré par Christophe Catsaros
www.cinemas-utopia.org

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