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Des hommes et des lieux : Kharkhorin, un palimpseste à la mongole

Coline et Capucine sont deux soeurs de 24 et 22 ans, elles ont étudié l’architecture, le design et le journalisme. Face au défi environnemental, aux crises migratoires et aux conflits internationaux, elles se demandent comment inventer une nouvelle manière de travailler, d’interagir avec les autres et de se mobiliser ? Elles ont décidé de partir à la rencontre de citoyens en Mongolie, au Japon et aux Etats-Unis, à l’origine d’initiatives innovantes et solidaires dans le domaine de l’agriculture, l’artisanat et l’architecture. Deux fois par mois, elles partageront sur le site internet d’AA leurs découvertes et leurs rencontres en images, dans la série intitulée « Des hommes et des lieux ».

Cette semaine, cap sur la Mongolie, un pays qui porte les stigmates d’une société en pleine mutation et où les effets de la mondialisation ont engendré un exode rural d’une telle importance que le tiers de la population a déserté les steppes pour s’installer dans la capitale, Oulan Bator. Première halte à Kharkhorin, située à 360 kilomètres au sud-ouest d’Oulan-Bator dans la province de l’Övörkhangai. La ville a conservé les traces de l’occupation chinoise et soviétique jusqu’au début des années 1990.

Photos et légendes de Coline et Capucine Madelaine.

© Capucine Madelaine
© Capucine Madelaine

Comme dans le reste de la Mongolie, Kharkhorin présente une grande diversité de paysages, où l’activité agricole occupe une place importante : champs à perte de vue, montagnes aux pentes douces et steppes le long de la rivière servant de pâturages, montagnes rocailleuses et légèrement boisées. Partout, on trouve des animaux qui paissent, surveillés par leur éleveurs à cheval ou à moto. Il n’est pas rare de croiser un troupeau de chevaux lancés au galop, même au milieu de la ville. Le sur-pâturage entraine d’importants phénomènes d’érosion, dans lesquels jonchent de nombreux déchets qui entachent le paysage…

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© Capucine Madelaine

Les quartiers de yourtes, où vivent la plupart des habitants, s’étendent en périphérie de la ville. Ils créent un tissu urbain très particulier, caractérisé par une succession de parcelles longitudinales aux constructions très basses, séparées par de larges rues de terre formant une nappe horizontale colorée. Héritage traditionnel, tous les portails sont orientés sud, pour se protéger du vent, « accueillir le royaume du soleil » et, surtout, voir arriver les envahisseurs chinois… Seuls quelques bâtiments rompent avec l’horizontalité du paysage urbain : deux immeubles d’habitation où vit une minorité de familles aisées, ainsi que les écoles et les internats qui disposent généralement d’un ou de plusieurs étages.

© Capucine Madelaine
© Capucine Madelaine

Le canal d’irrigation, alimenté par la rivière de l’Orkhon, traverse la ville d’est en ouest. Il rappelle la période d’occupation soviétique où il était alors exploité pour irriguer les champs. Les ruines des anciennes usines (minoterie et centrale thermique), abandonnées depuis le départ des russes, se voient en tous points de la ville et lui confèrent un caractère fantomatique. Aujourd’hui, la plupart des systèmes installés par les Russes sont obsolètes (à l’exception des canaux d’irrigation des champs d’argousiers), mais beaucoup ont été détournés ou réemployés…

© Capucine Madelaine
© Capucine Madelaine

Construit au XVIe siècle à partir des restes de la ville (détruite au XIVe), parmi lesquels une brique grise dont les secrets de fabrication sont perdus, le monastère bouddhiste d’Erdene Zuu (« aux Cent Trésors ») est un des lieux les plus touristiques de la Mongolie. De nombreux touristes se pressent dans son enceinte aux 108 stupas pour découvrir les quelques temples épargnés par les purges russes, aux influences sinoises, tibétaines et mongoles. Là-bas, les visiteurs se mêlent aux moines, aux mongols venus participer à des cérémonies bouddhistes et aux nombreux marchands de souvenirs…

5. Camps de touristes
© Capucine Madelaine

De nombreux « camps de touristes » se construisent au bord de la rivière, bénéficiant d’un des plus beaux paysages de la ville, face aux montagnes boisées et à l’embouchure de la vallée de l’Okrhon. Ils sont autonomes et disposent souvent de toutes les commodités (eau, électricité, restaurants, wifi, douches, sanitaires) pour éviter aux touristes de longs allers-retours vers le centre-ville. La plupart du temps, le logement se fait sous yourte, mais de petites cabanes aux airs de chalets préfabriqués apparaissent également régulièrement.

© Capucine Madelaine
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Dans les quartiers de yourtes, chaque parcelle est entourée de palissades de deux mètres de hauteur. Installées pour se protéger des animaux et des voleurs, elles dissimulent les habitations dont on n’aperçoit que les toits en patchwork métallique coloré. Les parcelles abritent des yourtes, maisonnettes en briques, cabanes en bois, serres, toilettes mongoles et appentis recouverts de fumier séché. Elles accueillent parfois plusieurs familles.

© Capucine Madelaine
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Les alentours de la ville sont occupés par de nombreuses familles nomades et leurs troupeaux (chevaux, chèvres, moutons, vaches). Si les éleveurs sont encore nombreux ici (dans le reste du pays, beaucoup s’installent à Oulan-Bator après avoir perdu leurs troupeaux), ils doivent faire face à des enjeux majeurs pour le développement rural : sur-pâturage, manque de fourrage, appauvrissement des sols, érosion, conservation et transformation du lait en été… Habitués à effectuer des tâches précises et planifiées durant la période soviétique, les éleveurs doivent désormais se réapproprier leur territoire et leur savoir-faire.

© Capucine Madelaine
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La densité de la ville est tellement faible qu’il n’existe pas de rues à proprement parler. Les activités (restaurants, banques, hôtels…) se concentrent sur moins d’un kilomètre le long d’une des voies principales, d’où les véhicules arrivent depuis Oulan-Bator et qui relie le monastère aux principaux commerces. Sur cette route, se côtoient camions et voitures en mauvais état, motos surchargées et chevaux aux cavaliers apprêtés…

© Capucine Madelaine
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Au cœur de la ville, invisible depuis la rue principale, se trouve le marché de Kharkhorin. Composé de vieux containers et de wagons de trains transformés en boutiques, il est le symbole d’une activité florissante disparue. Chaque container est aménagé pour faciliter la vente et le stockage. Matériel d’équitation, tissus traditionnels, yaourt séché, viande, sacs de farine, vêtements. On y retrouve tous les produits typiques mongols. Lieu de vie, les écoliers y traînent à la sortie de l’école, les jeunes hommes y jouent au billard et les vieilles dames y font quelques courses à côté d’hommes ivres qui dorment par terre…

© Capucine Madelaine
© Capucine Madelaine

À cause du prix trop élevé des appartements dont la qualité est souvent douteuse et la dégradation rapide, beaucoup de familles préfèrent acheter une parcelle pour y construire leur logement. Ici, la maison aux airs de pavillon témoigne d’un certain luxe (les familles plus riches disposent souvent d’un étage, parfois d’un balcon ou d’une loggia), qui contraste avec les ruines d’une usine soviétique en arrière-plan, indicateur des difficultés économiques du pays…

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